"Un petit coin de paradis... Essai sur l’alcoolisme masculin"
in "Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe", 2004/2 (n° 43)
Extraits :
Il suffit d’écouter des patients abstinents (et non pas sobres comme le distinguent subtilement les Alcooliques Anonymes) pour entendre une douleur dont l’alcool s’était fait le pansement
L’alcoolisme me semble apparaître comme une forme mineure de spiritualité (la quête d’un ailleurs sacré) dotant un produit totem (car mis tabou) des attributs du sacré (puissance, radicale hétérogénéité) que l’on ne peut raconter, mais rencontrer, le corps, comme celui du mystique par les stigmates, attestant de cette impossible narration : c’est la faille épistémo-somatique. La Puissance supérieure des Alcooliques Anonymes est le substitut de ce toxique totémisé quand cessent les libations.
Chez les Alcooliques Anonymes, l’anonymat signe une reconnaissance première avant un désaveu second et la soumission à une puissance supérieure : « L’anonymat d’un dieu dont tous les hommes, y compris le père, sont les sujets dévots»
L’alcoolique s’emploie à résoudre cette énigme par ses éclipses et renaissances : il s’éteint ivre mort pour renaître de lui-même. Cette seconde naissance que revendiquent les Alcooliques Anonymes en se donnant pour âge celui depuis leur abstinence.
Quant au Dieu supérieur, c’est la Puissance supérieure des Alcooliques Anonymes accessible par « le minutieux examen de conscience » qu’autorise le Big Book, ouvrage de référence de cette société qui érotise la connaissance de soi à laquelle seuls les initiés auront accès : « Il n’y a qu’un alcoolique qui puisse comprendre un autre alcoolique. » Nous retrouvons donc les ingrédients de la gnose : l’élection d’un nouvel Autre de l’Autre (Dieu supérieur), la fétichisation du savoir, l’organisation en société mystérique, la salvation par la connaissance.