"Les Alcooliques Anonymes, une école de vie où personne ne juge"
in "La Voix du Nord" (France), 2 août 2016
Lens : les Alcooliques Anonymes, une école de vie où personne ne juge
Le lundi soir, ils sont une vingtaine à avoir le courage de pousser la porte de la salle et s’asseoir, prêts à admettre leur problème et à échanger avec les « amis » atteints de la même maladie. Parce qu’on ne guérit jamais, les Alcooliques Anonymes ont tous le même but, chaque jour : ne pas prendre le premier verre.
« Tu as bonne mine aujourd’hui, ça fait plaisir ! » Lundi, 19 h 30, salle de Coubertin à Lens. Les « amis » Alcooliques Anonymes, de tous âges et toutes catégories sociales, se retrouvent. Comme chaque semaine, malgré la période de vacances scolaires, ils sont plus de vingt à pousser la porte et s’asseoir autour de la table, prêts à échanger. « Bonjour, S., malade alcoolique abstinente, et aujourd’hui, je vais bien. » L’assemblée se réjouit d’entendre ces mots car il y a quelques semaines, la jeune femme était au fond du trou. « Je considérais l’alcool comme un médicament pour régler mes problèmes mais au contraire, ça n’a fait que m’en apporter. J’ai eu un accident de voiture et j’ai fini au poste. Heureusement, j’ai évité le pire, j’aurais pu tuer une famille… Je suis enfin sur la voie de l’abstinence. » P., qui modère la réunion ce lundi, rectifie : « Il n’y a pas de voie, pas de longueur pour l’abstinence. Chaque jour sans alcool est une victoire. »
C. est bien placé pour confirmer. Deux retraits de permis, des problèmes de couple, des cures avec rechute au bout de quinze jours… Un vrai parcours du combattant. « Puis j’ai connu les réunions AA, au début je ne venais pas sobre, je venais en ayant moins consommé… Et un jour on m’a confié la responsabilité de tenir la cafétéria (café, gâteaux) pour les réunions, et je me suis dit que je ne pourrais pas assurer si j’avais bu. Ça a été le déclic. Les AA m’ont sorti de cet enfer. C’est au bout de huit ans d’abstinence que je suis redescendu sur terre et que j’ai compris, en conduisant mon petit-fils à l’école, que si j’avais encore bu, j’aurais pu le tuer en voiture. » C., pour sa part, se considérait « puni, mis à l’écart» car son entourage pouvait consommer et lui non. « Puis on m’a amené ici et j’ai compris grâce aux autres que l’abstinence, c’est pour toujours et qu’on ne peut pas y arriver seul efficacement. »
Certains, comme J.-M., viennent aux réunions depuis plus de vingt ans pour lutter contre « le diable en bouteille », comme il l’appelle. D’autres viennent à peine d’arriver et ne sont pas forcément assidus. « Je suis déjà venue ici en ayant consommé et j’ai piqué du nez devant vous, avoue P. J’ai eu tellement honte… Mon projet est semé d’inconstances et d’envies. Mais la réunion tous les lundis, c’est une rigueur qui remet de l’ordre dans une vie où il n’y en avait plus. »
« On en perd forcément en route, mais l’anonymat exige de ne pas les chercher, explique P.D’ailleurs, ce serait inutile car on ne peut pas forcer un alcoolique à arrêter de boire. Le malade est libre et lui seul peut faire ce choix. » Nombre des AA présents témoignent de rechutes – « cette flûte de champagne au mariage de ma fille, je l’ai traînée pendant sept ans». Mais l’assiduité aux réunions aide jour après jour à mener le combat : ne pas prendre le premier verre.