"La lutte quotidienne et perpétuelle des Alcooliques Anonymes"
Publié le par kreizker
in "Le Petit Bleu d'Agen" (France), 23 Septembre 2019
Tous les lundis soirs, le groupe des AA d'Agen se retrouve pour échanger, s'écouter et s'épauler. Malades, ils cherchent à se soigner pour ne plus reprende le 1er verre.
«Bonsoir, je m'appelle Christine (1), je suis alcoolique. Je suis abstinente.» Dans la petite salle du rez-de-chaussée du centre Jean XXIII, la réunion du lundi soir des Alcooliques anonymes (AA) a commencé. Ils sont une dizaine autour de tables disposées en cercle, où chaque place est reliée à la précédente autant qu'à la suivante, comme une chaîne sans fin. Sans fin, comme la lutte quotidienne contre l'alcoolisme, même pour ceux qui sont abstinents depuis plusieurs années.
Sur la table, de l'eau, évidemment, et une appétissante boîte de bretzel, que les voisins s'échangent et vers laquelle le journaliste visiteur du soir ne se prive pas de revenir plus fréquemment qu'à son tour.
Christine ouvre la réunion : «Vous êtes ici car vous avez admis que vous êtes impuissant devant l'alcool et que vous avez perdu la maîtrise de votre vie.»
L'un des principes des AA, rappelle Alexandre en lisant la méthode, comme à chaque début de réunion, «c'est d'être sans crainte et sincère, capable de s'abandonner.»
«Dieu tel que nous le concevons»
Parmi les 12 étapes qui scandent le parcours de vie des AA, si l'objectif de «réparer les torts faits aux autres et à soi-même» (étapes 5, 8, 9 et 10) est omniprésent, plusieurs font directement référence à Dieu : «Nous en sommes venus à croire qu'une puissance supérieure à nous-mêmes pouvait nous rendre la raison (étape 2)» ; «Nous avons décidé de confier notre volonté et notre vie aux soins de Dieu tel que nous Le concevions (étape 3)» ; «Nous avons cherché par la prière et la méditation à améliorer notre contact conscient avec Dieu, tel que nous Le concevions, Lui demandant seulement de connaître Sa volonté à notre égard et de nous donner la force de l'exécuter» (étape 11).
«Contrairement à ce que la littérature des AA peut laisser penser, la religion n'est pas au centre de la méthode», nuance Jean. «Dans la méthode, le terme important c'est «Dieu tel que nous le concevons». L'idée, c'est d'envisager une puissance supérieure, propre à chacun, comme point d'appui. On l'appelle Dieu, être suprême, Allah, destin. C'est une manière d'accepter que seul, contrairement à ce que s'est tous longtemps dit, on n'est pas capable de faire face et de contrôler sa dépendance à l'alcool.»
Ce lundi soir, chacun prend la parole à son tour, racontant avec franchise et une sincérité touchante, les ravages de l'alcool sur sa vie. Là encore, les formules sont codifiées, toujours les mêmes, entre mantra et confession publique. Pas de faux semblant, les «amis» comme les AA s'appellent entre eux, se sont débarrassés de leurs oripeaux et se mettent à nu : «Je m'appelle Daniel, je suis malade alcoolique, je suis abstinent», «je m'appelle Elodie, je suis malade alcoolique, abstinente et fière de l'être».
Ils sont retraités, fonctionnaires, artisans, ouvriers, intérimaires, cadres supérieurs, septuagénaires, trentenaires ou quadras, femmes et hommes, malades ou en bonne santé. Ils sont nos amis, nos voisins, nos collègues, vos oncles ou vos filles.
Il est presque 21 heures et l'horloge comme la boîte de bretzel tourne.
«Ma première réunion des AA date de plusieurs années maintenant», raconte Christine, grande dame élégante, aux mains fines et à la diction précise.
«Rester sur les rails»
«Je souffrais, je savais que j'avais un problème mais la perspective de me passer complètement d'alcool me faisait peur. J'ai fait plusieurs cures de désintoxication mais je replongeais. Pour oublier mes problèmes je me mettais à boire et évidemment, j'avais encore plus de problèmes. Je me sentais comme une merde, je me serais bien flingué. Et puis un jour j'ai eu un déclic : j'ai pris le problème à l'envers et fait le pari que si j'arrêtais de boire ça allait changer la donne. Après une nouvelle cure, je suis allée à ma 2e réunion des AA en faisant profil bas.»
L'écoute est au maximum, seulement dérangée par le discret bruit de la boîte de gâteaux salés dans laquelle je suis désormais le seul à piocher.
Il y a ceux qui ont commencé à boire pour faire la fête, ceux qui ont bu pour oublier, et ceux qui boivent par atavisme : «Mon père était alcoolique et je l'ai vu rentrer tous les soirs bourré comme un coing». Avec sa barbe blanche et sa gouaille haute en couleurs, Daniel sait capter son auditoire. «J'ai vu mon père devenir abstinent un an et retourner à l'alcool. Je sais que le meilleur moyen de pas retourner à l'alcool c'est de pas toucher le premier verre. Ça m'a pas empêché de picoler pendant 15 ans.»
«On a tous un déclic un jour. Moi c'est lorsque j'ai perdu ma dignité devant la femme que j'aimais. Cette humiliation m'a permis de comprendre que j'avais des problèmes à cause de l'alcool. Je suis venu aux AA pour ne pas reprendre. Je n'étais pas guéri mais je n'y pensais plus. Après plusieurs années d'abstinence, j'avais une bonne situation une maison, une compagne. Tout allait bien alors j'ai commencé à espacer les réunions des AA. En un an j'ai replongé, perdu mon boulot et ma femme est partie. J'ai alors repris le chemin des réunions et du programme. Quand je viens ici, j'écoute els témoignages des amis et j'apprends ce que je dois faire par moi-même. Je viens pour rester sur les rails.»
«Le but c'est de ne pas prendre le premier verre»
C'est au tour du plus jeune ce soir-là de parler. Alexandre est présent aux réunions depuis quelques mois seulement et avoue sans détour n'être abstinent que depuis 15 jours : «L'alcool est tabou et c'est une honte, un fardeau qu'on porte. J'avais peur d'être jugé mais lorsque je suis arrivé j'ai compris que justement ici, on ne me jugerait pas. C'était un poids que j'enlevais. Après la première réunion ici, j'ai aussi compris que je ne guérirais jamais. Mais je pouvais me soigner si j'arrêtais de me mentir et si je commençais à être honnête avec moi-même.»
En tendant la boîte de sticks salés, Jean lui, râle : «Ça me fait bondir lorsque j'entends parler de volonté. Arrêter l'alcool c'est tout sauf la volonté. C'est parce qu'on pense qu'on est capable d'arrêter quand on veut qu'on n'y arrive pas. Moi j'ai bu de 17 à 30 ans, de tout, comme un trou. Avec l'illusion que je pouvais arrêter si je voulais, quand je voulais. La vérité c'est que l'abstinence, c'est un vrai boulot. Au début, lorsque je venais aux réunions des AA, je ne comprenais pas pourquoi les plus anciens étaient contents de venir. Aujourd'hui je comprends : je suis bien quand je vais en réunion. Si je ne viens plus, si je pense pouvoir gérer tout seul et croire que je n'ai plus de problème avec l'alcool, je n'ai pas de doute sur l'issue.»
Pour émouvants et sincères qu'ils soient, les témoignages restent à distance pour qui n'est pas concerné directement. Et puis Lili prend la parole, plante ses yeux dans les vôtres et fige votre main plongée dans la fameuse boîte à gâteaux apéro : «On ne peut pas prendre le premier verre car ensuite on ne sait pas s'arrêter. Notre défi perpétuel, c'est de ne pas prendre ce premier verre. Sinon, on est comme vous avec les bretzels, on ne peut pas s'empêcher d'y retourner encore et encore, et encore…»
(1) Pour préserver l'anonymat, les prénoms ont été changés.
Tous les lundis
Les réunions des Alcooliques Anonymes d'Agen ont lieu tous les lundis soirs dans une salle prêtée par le centre JeanXXIII, au 43 Boulevard Edouard Lacour, à Agen. Elles sont réservées aux personnes ayant un problème avec l'alcool les 1er, 2e et 4e du mois. Le 3e lundi du mois, la réunion est ouverte tout public. Informations au 09 69 39 40 20 et au 07 82 19 16 16.