"Je m'étais clochardisé": les émouvants témoignages des Alcooliques Anonymes de Menton
in "Nice-Matin" (France), 18 Janvier 2024
En ce début d’année, le défi du "Dry January" attire les attentions. À Menton, dans une salle paroissiale du Sacré-Cœur, chaque jeudi soir, un groupe se réunit pour vaincre l’addiction à l’alcool.
Qui dit nouvelle année, dit nouvelles résolutions et nouveaux défis. En ce mois de janvier, de nombreux volontaires, en proie au changement, relèvent le défi du "Dry January", une initiative mondiale encourageant les participants à s’abstenir de toute consommation d’alcool pendant un mois. Cette tendance croissante gagne du terrain. Mais le combat contre l’alcoolisme n’a rien à voir avec un challenge symbolique aux allures de bonne résolution, c’est un défi permanent.
Il est 19h, à la salle paroissiale du Sacré-Cœur. Paul [Le prénom a été changé dans un souci d'anonymat, N.D.L.R.] prépare café, thé, et petits chocolats. Dans l’ambiance chaleureuse et enveloppante de la salle, les AA [Alcooliques anonymes, N.D.L.R.] arrivent tour à tour. Chaque jeudi soir, à la même heure, une petite salle accueille ce groupe de personnes unies par une expérience commune, celle de l’addiction. "N’importe qui peut venir nous voir, c’est ouvert à tous", lance Paul, chargé d’animer la réunion. Loin des stéréotypes attribués à cette assuétude, ce moment de communion rassemble des individus de tous horizons, prouvant que cette dépendance ne fait pas de distinction sociale. Cadres, professionnels de santé, directeurs d’entreprise se réunissent, partageant un seul objectif: rester sobres, jour après jour.
"J’ai tout perdu"
Les récits partagés lors de la réunion témoignent d’une émotion poignante, révélatrice d’un mal-être enraciné, à l’origine de l’addiction. Mais ils révèlent également l’optimisme inébranlable post-guérison. Chaque membre échange son expérience, sur fond de blagues et de décontraction, créant un espace où la légèreté coexiste avec la gravité de leur lutte quotidienne. "Le matin, je buvais une demi-bouteille de vodka juste pour pouvoir tenir la journée. J’ai tout perdu. Ma famille m’a tourné le dos, j’ai perdu mes finances, mes amis, mon logement. Je suis arrivé à ces réunions avec mes valises. Quand j’ai été pris en charge à l’hôpital de Monaco, ils n’avaient jamais vu ça. Une fois sobre, je me suis rendu compte à quel point j’étais sale, je m’étais "clochardisé". Je ne me souvenais plus de rien sur plusieurs semaines en arrière. En tout cas, si vous faites un article sur la cellule de dégrisement du coin, je peux vous aider, je la connais par cœur", blague Paul, en provoquant un rire général.
Pour Éloise, AA sobre depuis plusieurs mois, le combat fut rude. "J’étais égoïste, je ne voyais pas le mal que je faisais autour de moi, mais j’étais malade. Le plus dur a été de le reconnaître et de me faire pardonner par les gens que j’aime. Pour cela, le chemin est encore long, car récupérer la confiance de ses proches après les avoir déçus est un chemin de croix", confie-t-elle.
"À ses yeux, je suis morte"
En cours de réunion, une femme entre dans la salle. "Bonjour... C’est ici les Alcooliques anonymes? Je peux m’asseoir?". Tous la saluent. Timidement, elle se met à raconter son histoire. "Je pense qu’il y a un facteur héréditaire. Je ne buvais jamais, mon grand-père ayant été alcoolique. Je suis Polonaise et, en arrivant en France, j’ai commencé à faire beaucoup d’apéros. Pendant le confinement, c’était tous les jours à partir de 16h. Puis la machine s’est enclenchée. J’ai perdu ma mère et ma meilleure amie et les doses ont augmenté. Mon enfant va partir faire ses études à l’étranger. Il a dit qu’à ses yeux, je suis morte. Je veux m’en sortir", livre Julia, en retenant des sanglots.
"L’alcoolisme à plusieurs niveaux"
Les participants ont tous suivi les douze étapes de sevrage, et soulignent l’importance de l’entraide et de l’assiduité dans leur parcours. L’élément central de ces réunions est la croyance en une force supérieure, une puissance spirituelle qui transcende les notions religieuses. Cette force, expliquent-ils, n’émet aucun jugement mais offre une volonté commune de se libérer de l’emprise de l’alcool. "Nous ne sommes pas une secte", avertit Paul en riant. "Beaucoup d’entre nous sont athées, et même si on dit "bonjour" suivi de nos prénoms comme dans les films, nous sommes à l’opposé des clichés souvent associés à l’alcoolisme", souligne cet AA, occupant un poste à responsabilité dans une grosse boîte. "Ces réunions représentent un lieu d’entraide authentique et sans préjugés. Un alcoolique seul ne s’en sort pas, mais deux alcooliques, oui. Ils se serrent les coudes et se comprennent", ajoute-t-il.
Au-delà du Dry January, la réunion des AA offre un aperçu poignant de la diversité des parcours traversés par ces adhérents. Certains ont tout perdu, mais tous partagent la conviction que la volonté et le soutien mutuel sont les fondements essentiels pour rester sobre, et reprendre sa vie en main.