« Le temps qu’on parle, on n’a pas envie de boire » : une soirée avec les Alcooliques Anonymes, à Tours
in "La Nouvelle République" (France), 23 Janvier 2024
Extrait :
« Si vous venez ici pour négocier avec l’alcool, ce n’est pas la peine. Vous n’y arriverez pas. » Semaine après semaine, les Alcooliques Anonymes se réunissent pour discuter. Immersion à Tours, vendredi 12 janvier 2024.
Ce qui se passe dans cette petite salle, avenue de l’Europe, à Tours, se reproduit, semaine après semaine, aux quatre coins du monde. Vendredi 12 janvier 2024, comme tous les autres vendredis, ils franchissent la porte du groupe des Alcooliques anonymes. Autour de la table, chacun a son gobelet de café. On fait passer des bonbons. Le sevrage d’alcool fait chuter la glycémie.
Ils sont une vingtaine, ce jour-là, à reproduire le petit cérémonial : écouter et parler, les uns après les autres. La réunion sauve des vies. Paul, qui participe depuis 19 ans, l’assure, l’alcool amène à trois choses : « La prison, l’hôpital ou le cimetière ». Les Alcooliques Anonymes sont souvent le dernier recours.
« On a une mentalité d’anciens combattants »
Créé aux États-Unis au début du 20e siècle, le principe des Alcooliques Anonymes est arrivé en France dans les années 1960. Depuis, les groupes n’ont cessé de se perpétuer. L’idée est simple : « Le temps qu’on parle, on n’a pas envie de boire », résume Chantal.
Toutes les personnes qui ont des problèmes d’alcool sont les bienvenues. La participation est sur la base du volontariat, gratuite, anonyme, sans engagement. On peut même venir alcoolisé. Chacun le répète, ici, on ne peut faire que des suggestions, des recommandations. Chacun est libre de sa conduite.
Mais autour de la table, les plus anciens le savent : certaines recettes marchent. À commencer par l’assiduité. « Revenez, ça marche », assure Chantal, aux nouveaux venus, les yeux dans les yeux.
« La petite voix »
Ce soir-là, ils sont trois nouveaux visages, plutôt jeunes, à se joindre aux habitués. « Il faut du courage pour pousser la porte », félicite une ancienne. Un autre dissipe immédiatement les crispations que peuvent créer chez les nouveaux venus les nombreuses références à Dieu dans les préceptes des Alcooliques anonymes, héritage de la tradition américaine.
Ils ne sont pas obligés d’y croire, ça fait juste partie du rituel, de la tradition. Paul n’y croit toujours pas. Mais le cérémonial, lui, marche bel et bien. Ceux qui ne boivent plus, ce sont ceux qui sont revenus, comme lui.
Les uns après les autres, ils font le point sur leur semaine, sur leur journée. En surface, chaque chemin de vie est unique. À chacun ses joies, ses petits tracas et ses gros problèmes. Mais en filigrane, tous racontent la même histoire : la progressive descente dans l’alcool, les stratégies pour le cacher, pour vivre avec. Les cuites. La vie qui s’étiole. Puis la prise de conscience qu’on a un problème, et qu’on ne peut pas le gérer.
Quand Juliette, qui ne semble pas avoir 25 ans, venue pour la première fois, raconte comment sa consommation d’alcool a étouffé une partie de ses émotions, son voisin grisonnant, qui n’a pas bu une goutte depuis presque vingt ans, hoche la tête. Comme les autres, il sait. Malgré les différences d’âge, de parcours, chacun voit son reflet dans ses voisins de table.
« La petite voix », « le petit discours de merde », « le petit vélo qui mouline » : chacun, avec ses mots, témoigne de la même expérience, de l’illusion de pouvoir contrôler sa maladie. De pouvoir boire, juste un peu.
« Négocier, ce n’est pas la peine »
« Si vous venez ici pour négocier avec l’alcool, ce n’est pas la peine. Vous n’y arriverez pas. Moi, je n’y suis pas arrivé », témoigne Martin. La clé : l’acceptation. L’acceptation de la maladie et de « l’impuissance » face au « produit ».
« On a une mentalité d’anciens combattants, ironise Monique, la modératrice de la soirée. C’est une sacrée guerre qu’on a menée, et qu’on a gagnée, pour au moins 24 heures. Et on ne sait jamais pour demain. »
Dans cette guerre, pas de petite victoire. L’unité de temps des Alcooliques Anonymes est de 24 heures. Une journée sans boire. Après, on verra. Qu’ils aient des décennies d’abstinence, quelques mois, quelques heures, tous savent que l’abstinence se construit un jour après l’autre. Et que quand on est alcoolique on le reste, même quand le dernier verre était il y a des années.
« Ce qui nous relie, ici, ce n’est pas l’âge, les origines, la situation sociale, résume Françoise. C’est que quand on parle de 24 heures sans boire, d’une semaine, on sait ce que c’est. » « Dans votre entourage, il n’y a personne qui puisse comprendre comme un alcoolique ce que vous vivez », renchérit Monique.
Une grande confraternité. En voyage à La Rochelle, Paul raconte avoir rejoint la réunion d’un groupe local. « Il y avait des gens que je n’avais jamais vus dans ma vie, j’avais l’impression que je les connaissais. Même au bout de la France, tu as l’impression que tu les connais depuis tout le temps. La première fois, c’est bluffant. »
Pour préserver l’anonymat des personnes, tous les prénoms ont été modifiés.
Où trouver un groupe en Indre-et-Loire ?
> Groupe de Tours. Les vendredis, de 18 h à 20 h, au 24, avenue de l’Europe, Tours. Contact : tél. 06.50.91.27.37.
> Groupe de Chambray-lès-Tours. Les mercredis, à 20 h 30, salle Marcadet, 34, avenue des Platanes, Chambray-lès-Tours.
> Groupe de Loches. Les lundis, à 20 h, au 24 bis, avenue du Général-de-Gaulle, Loches.
Sur Internet : alcooliques-anonymes.fr
Permanence 24 h/24 : tél. 09.69.39.40.20 (appel non surtaxé).