TÉMOIGNAGE : "Si je bois, je vais jusqu'à la cuite", rencontre avec les Alcooliques Anonymes du Mans

Publié le par kreizker

France Bleu, 16 Janvier 2024

Ils se réunissent jusqu'à trois fois par semaine au Mans pour parler de l'alcool, de dépendance et de rechute. Les Alcooliques Anonymes nous ont ouvert leurs portes pour évoquer leur combat quotidien pour maintenir une abstinence, parfois fragile.

 

 

"Bonsoir les amis, Benoit, malade alcoolique…", la phrase d'introduction est la même pour tout le monde. Il est 20h30, la séance débute autour d'une quinzaine de personnes, en grande majorité des hommes, assis derrières des tables disposées en un grand rectangle dans une salle de la paroisse Saint-Martin, au Mans. Les Alcooliques Anonymes ne débattent pas, donnent encore moins de leçons aux autres, mais parlent. Chacun déroule un monologue, plus ou moins long, sur leur dépendance à la boisson. Ce soir, le thème choisi est "le sens de la vie", lance Sylvain, animateur du jour.

"Personne ne nous juge, on est que des alcooliques ici" "

Donner sens à sa vie… Moi, j'avais perdu le sens effectivement", concède Benoit, qui vient de passer le cap de la première année sans toucher à un seul verre d'alcool, "arrêter de boire, c'est compliqué les quinze premiers jours, mais le plus dur c'est de travailler sur soi pour ne pas reprendre ce verre." Il remercie son épouse de lui avoir tendu le numéro des "A-A".

Ce verre, qui refait basculer dans l'ivresse, Anthony y a cédé en octobre dernier. "Normalement, j'aurais dû fêter mes un an cette année, mais malheureusement, j'ai fait une rechute", regrette le menuisier de 38 ans, "c'est venu en flash, j'ai pas pu me retenir… La première goutte du premier verre a fait que je n'ai pas pu gérer ma consommation." Et cela va jusqu'à l'ivresse, et même plus, "il n'y a plus rien qui retient".

Anthony livre ses impressions sur cet écart, en parle "sans tabou. Il n'y a qu'ici que je peux trouver une solution et il n'y a qu'ici qu'ils peuvent comprendre." "Il faut revenir", insiste Sylvain, 61 ans, "personne ne nous juge parce qu'on n'est que des alcooliques ici." Cette thérapie par le témoignage sert également aux autres. "On se rétablit par la parole, on partage, et on s'écoute", décrit Iza, l'une des rares femmes présentes, "c'est en écoutant les expériences vécues [par les autres, NDLR] que j'ai réussi à me rétablir."

24 heures à la fois

Décréter d'arrêter de boire pour le reste de la vie s'avère souvent une promesse non tenue. Une promesse intenable. Les "A-A" se donnent donc de très courts objectifs pour mieux tenir sur le long terme. "On parle d'un jour à la fois pour devenir et rester abstinent, c'est-à-dire ne plus boire du tout", pointe Iza, qui n'a pas consommé depuis sept ans. Une longue période, qui ne veut pas dire que l'alcoolisme est derrière elle.

"L'alcool ne fait plus partie de ma vie, mais je suis vigilante parce que je sais que la rechute est possible pour tout le monde", prévient la quinquagénaire, qui rappelle que certains de ses amis se sont remis à boire après dix ans d'abstinence. "Nous, on ne sait pas boire, si on consomme… On est tous morts là", alerte Sylvain, appuyé contre le mur, en désignant les autres d'un coup de menton, "je ne parle pas physiquement, mais plus vous avez des rechutes et plus la durée entre les deux consommations est longue, et plus vite, vous tombez."

Les cures ? "Il faut les faire pour soi, sinon c'est voué à l'échec"

Cet ancien employé de banque a commencé à enchainer les verres dans les années 90, jusqu'à ne plus pouvoir se raser le matin à cause des tremblements occasionnés par son addiction. "Je consommais d'une manière très, très forte, c'était six, sept bières par jour, une bouteille de whisky, voire plus pour me mettre mal", se souvient Sylvain. Il fait d'abord plusieurs cures pour ses proches, son ex-compagne et ses enfants, mais cela ne fonctionne pas. "La dernière que j'ai faite, je l'ai faite exclusivement pour moi. Et cela, c'est super important, il faut penser qu'à soi, sinon c'est voué à l'échec", conclut-il.

Aller en cure doit donc être une démarche très personnelle et motivée par l'alcoolique lui-même. Si elle est juste menée pour rassurer ses proches, le traitement n'aura que très peu d'effet. Une situation difficile à gérer pour la famille. "Même si on est bien entouré avec la famille qui nous aime, ils ne sont pas dans notre problème d'alcool, donc c'est compliqué d'en parler", témoigne Anthony, qui a mis quatre à cinq ans pour comprendre qu'il était malade.

Une prise de conscience qui prend du temps, d'autant que l'alcool en France est associée souvent à notre patrimoine, notre culture, et même paradoxalement à la santé. Près d'un Français sur quatre pense que boire un verre de vin diminue par exemple les risques de cancer, selon une enquête du Baromètre Cancer 2021, dévoilée fin janvier. En parallèle, Santé Publique France a mené une campagne publicitaire en début d'année "La bonne santé n'a rien à voir avec l'alcool*".

Publié dans AA france

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article