Le Lien....
BIG (Bulletin des Intergroupes Paris Banlieue), n° 467, Mars 2024
Le 19 février 1994, je me sens absolument au fond du fond, au bout du bout du trou. Je fréquente assidûment les salles des Alcooliques Anonymes de Milan depuis maintenant trois mois, mais pas moyen de lâcher ce foutu verre. Après une énième engueulade, particulièrement violente, avec mon ex, je sors de chez moi avec plusieurs ordonnances de tranquillisants en poche et commence à faire le tour des pharmacies ouvertes de nuit. À cette époque-là, il n’est pas très difficile de se procurer une dizaine de boîtes de Xanax et autres médocs. Je commence donc mon périple dans les rues du centre-ville en avalant mon trésor qui est censé de me libérer de cette vie dont je ne veux plus. Quarante-huit heures plus tard, je me retrouve dans un lit d’hôpital avec des tuyaux attachés à tous les coins de mon corps. Je sors d’une crise de delirium. Horreur absolue. Épuisement total. Ça tourne dans ma tête et je tombe continuellement au fond du trou. J’aperçois vaguement mon ex à mon chevet et j’aimerais qu’elle ne soit pas là. Un peu plus tard, un vieux médecin aux cheveux blancs passe me voir et me dit : « Vous avez presque réussi cher jeune homme ! Cinq minutes plus tard et c’en était fini de vous. Heureusement que les pompiers n’étaient pas loin de l’endroit où vous êtes tombé dans la rue ! ». Je ne partage pas son enthousiasme quant au fait que je sois encore en vie. Puis, il continue : « Vous avez quand même de la chance, vu qu’il reste encore un peu de sang dans votre vin ! Cela dit, je vous conseille ardemment d’aller faire un tour chez les Alcooliques Anonymes. Ils ont plusieurs groupes en ville et je crois qu’ils pourraient vous aider ! ». Je lui réponds que j’ai essayé, mais que pour moi ça ne marche pas. Il me dit alors : « Vous savez, dans leurs groupes de parole, il y a les Élus, qui arrêtent de boire dès la première réunion et les autres, plus ou moins coriaces. Essayez encore ! Vous savez ici, je vais pouvoir vous nettoyer et vous remettre sur pied, mais pas vous enlever l’alcool de la tête. Eux, les A.A., pourront le faire si vous êtes un homme de bonne volonté. Moi je ne suis qu’un médecin, mais je peux aussi être un lien entre votre maladie et la solution que les A.A. pourraient vous apporter ! ».
Ce mot « lien » a été magique. Quelques jours plus tard, dès ma sortie de l’hôpital, je suis retourné dans les salles et six mois plus tard, j’ai enfin posé le verre, grâce au médecin qui voulait être un lien entre ma maladie et la solution. Seraisje retourné dans les salles sans ce médecin ? Alors, par la suite et aujourd’hui encore, comment ne pas vouloir moi aussi être le « lien » à l’image de ce vieux médecin milanais. Comment ne pas vouloir dire qu’une solution existe ? C’est pour moi l’essence même du Programme et de mon rétablissement. C’est la raison pour laquelle j’ai accepté de rejoindre le Bureau Santé, pour servir de lien. Avec ceux qui y sont présents déjà et qui œuvrent dans les structures sanitaires et hospitalières de Paris. Beaucoup a été fait, mais il faut maintenir la machine en marche et aller de l’avant. Car d’autres interventions nous attendent !