Du gouffre à la lumière : une résilience retrouvée

Publié le par kreizker

Du gouffre à la lumière : une résilience retrouvée

Dans le cœur de Lyon, la réalité se déclinait en nuances de gris. Mon appartement, niché dans une rue tranquille de la presqu’île, offrait une vue sur une petite cour intérieure dont la morosité semblait s'étendre jusqu'à moi. Les fenêtres de l’immeuble en face, toujours fermées, me renvoyaient l'image d'une existence aussi confinée que la mienne. Les rideaux clos et le silence me renvoyaient mon propre état d'isolement, comme un miroir sans âme.

 

Je venais de perdre mon travail. Plus qu’un simple emploi, il avait été le socle de mon existence, le cœur battant de ma vie. La perte de ce pilier a ouvert une brèche béante dans mon âme. Par cette fissure, l’alcool s’est engouffré, non pas comme une simple échappatoire, mais comme un abîme où je me suis perdue avec résignation. Je me laissais engloutir, abandonnant toute volonté de résistance. Mon désir profond était de disparaître dans ce gouffre noir.

 

Avec l’alcool, je m’effaçais, me transformant en une ombre de moi-même. Mon comportement devenait erratique, cruel, inconnu même à moi. Mon mari, cet homme d’une douceur infinie, était le spectateur impuissant de ce déclin. Il souffrait dans l’ombre, tandis que je me perdais dans des soirées interminables, ivre et désinhibée. Combien de fois m’a-t-il récupérée, titubante, dans ces lieux où je m’abandonnais? Combien de fois m’a-t-il ramenée, sans un mot, accablé par le poids de ma déchéance ? La première fois qu’il a cédé, c’était une gifle en pleine rue. Je me souviens encore du bruit sec, résonnant comme un jugement. Les passants ont appelé la police, et une main courante a été déposée. Mais les incidents suivants se sont déroulés en privé, dans le silence de notre appartement, loin des regards.

 

Un jour, il a tenté de raviver les braises de ce qui nous restait. Il avait organisé un voyage vers l’Atlantique, ce lieu de souvenirs heureux. Mais au moment de partir, je lui ai annoncé que je ne viendrais pas. J’étais trop enfoncée dans ma propre ruine. Alors il a frappé. Pas avec la colère d’un homme enragé, mais avec des coups lourds sur mes épaules, mon torse, comme s'il cherchait à me réveiller d’un sommeil morose. Mais je n'étais déjà plus là.

 

La nuit la plus sombre fut celle où tout s’est effondré. Ivresse et téléphone en main, je parlais à un ami, mes mots se mélangeant avec des éclats de rire désordonnés. Il écoutait en silence, et je n’ai vu que trop tard sa présence. Il est venu lentement vers le lit, retirant sa ceinture avec une détermination désespérée. Quand les coups sont tombés, j’ai cru que ma douleur serait infinie. Les marques sur mes cuisses, ces bleus expansifs, sont devenus des témoins silencieux de ma souffrance. J’ai hésité à immortaliser ces preuves, à quoi bon ? Tout était déjà effondré.

 

Et pourtant… malgré cet abîme, une lueur d’espoir est apparue. Mon chemin de rétablissement a été guidé par les Alcooliques Anonymes. Le soutien des membres, les réunions, et le programme m’ont permis de trouver une nouvelle voie. Lentement, le chemin fut long et semé d’embûches, mais j’ai fini par émerger. L’alcool s’est éloigné, emportant avec lui la noirceur qui me recouvrait. Nous avons repris le fil de notre vie, maladroitement, comme si chaque pas était une tentative de redécouverte. Rien n’est redevenu comme avant. Nous avons changé, déformés par cette épreuve. Les questions persistent, les ombres flottent entre nous, des gestes restent en suspens.

 

Lui, il doute plus que moi. Je ressens son regard, chargé de ce qu’il n’ose exprimer. Il se demande comment nous avons pu atteindre ce point, et moi aussi. Comment cet homme, si plein de tendresse, a-t-il pu franchir la ligne entre la douceur et la violence ? Comment avons-nous pu dépasser cette frontière invisible ?

 

Pourtant, quelque chose perdure. L’amour, bien qu’amoindri, reste présent. Il se cache dans les interstices de notre relation, fragile mais résilient. Ce n’est pas une victoire éclatante, loin s’en faut. C’est un équilibre précaire, instable, mais authentique. Ce n’est pas le bonheur flamboyant d’autrefois, mais c’est quelque chose. Peut-être pas grand-chose, mais ce n’est pas rien non plus.

 

Merci à Agnès pour son témoignage

Publié dans témoignages

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