"Alcooliques Anonymes: zoom sur les confidences à distance"
in "20 Minutes" (Suisse), 26 Mars 2020
Avec la crise sanitaire, le Net est devenu le principal lieu de parole des Alcooliques Anonymes afin de sauvegarder le lien et permettre aux membres de rester à flots. Reportage avec un groupe basé à Gland.
«Avant, j’avais la gueule tout le temps ouverte. Maintenant, j’ai appris à écouter. Vous êtes devenus mon médicament le plus utile.» Le visage buriné par «38 ans d’alcoolisme», Nathy* ne tarit pas d’éloges sur ces séances sur Zoom devenues une planche de salut pour les Alcooliques Anonymes (AA). En un an de crise sanitaire, les prises de parole se font de plus en plus online. Lundi soir, nous avons assisté à une séance sur Zoom officiellement destinée aux membres de Gland (VD) et environs. Mais parmi la vingtaine de participants, certains sont à l’étranger. Comme Sylvie, connectée depuis la France, et Sylvain*, basé aux Bermudes.
James* revient de loin et ne s’en cache pas. «Ma vie, c’était boire, dormir et aller au travail en mâchant une tonne de chewing-gum pour ne pas sentir l’alcool. J’avais touché le fond. Sans ces séances, je ne serais plus là.» Le fond, Clara*, ne l’a pas encore touché et s’en réjouit. «Vous entendre m’aide à intégrer ma maladie et à me dire que l’on peut en guérir», espère-t-elle.
La honte me bouffait et l’orgueil m’empêchait de demander de l’aide. Ici, je me sens compris.
Lionel*, un alcoolique anonyme
Pour Lionel*, universitaire apparemment quinquagénaire, le constat est implacable et les mots sortent des tripes. «J’ai sabordé ma vie. Plus je buvais, moins je travaillais et moins j’étais correct. La honte me bouffait et l’orgueil m’empêchait de demander de l’aide. Ici, je me sens compris et écouté sans être jugé.» Maria* se félicite d’avoir quitté l’océan des liqueurs pour surfer désormais dans la sobriété et l’abstinence. Tim*, un papy au fort accent british, a fait du chemin mais n’a pas encore vu le bout du tunnel. «Je suis un alcoolo en rétablissement», a-t-il résumé.
Petit moment d’hilarité générale quand Claire* relève que la dernière syllabe du nom de sa psy est …«vin». Tout de suite après, d’une voix douce mais sans obséquiosité, le modérateur relance les débats. Qui n’a pas la parole doit éteindre son micro. Pour intervenir, il faut lever la main et attendre le feu vert du modérateur. Julien* dit avoir frôlé le pire lors de sa descente aux enfers. «Ma femme menaçait de partir mais elle est toujours là. Aujourd’hui, j’ai rétabli le contact avec mes enfants», lance-t-il, conscient qu’il revient de loin.
Les humeurs ne sont évidemment pas les mêmes. Jacques et Felix affichent qu’ils ont «un coup de down» tandis que Sylvain se dit «dans une forme olympienne».
Vers 19h30, après une heure d’échanges dans une ambiance empreinte de bienveillance et de respect entre anciens et actuels disciples de Bacchus, le modérateur lève la séance. Non sans rappeler le mot d’ordre: «Ce qui a été vu et entendu ici reste ici».
*Prénoms d’emprunt.