À Portée de Main
Le soleil frappait fort, inhabituel pour un samedi de début d’automne à Lyon. Je marchais lentement dans la rue de la République, comme prise dans un courant que je ne contrôlais pas. Les gens me frôlaient, pressés de profiter de cette journée, et je les laissais m'entourer, m’étouffer presque. C'était comme si je flottais dans une mer de visages inconnus, perdue dans une foule qui ne me voyait pas.
Cela faisait treize mois. Treize mois que je n’avais pas touché à un verre. Je me répétais le chiffre en boucle, comme pour m'en convaincre, mais aujourd'hui, chaque pas me ramenait à cette envie sourde, cet appel familier qui montait doucement. Il y avait trop de bruits, trop de monde, tout me paraissait à la fois oppressant et flou.
Les rires s'entremêlaient aux conversations éclatées, fragments de phrases qui tournaient en spirale dans ma tête. Un enfant pleurait quelque part, des talons claquaient sur les pavés, des vélos me frôlaient. Chaque son frappait comme une onde de choc dans mon esprit, résonnant plus fort qu’il ne le devrait. J'avais cette sensation étrange que les bruits venaient de l’intérieur de moi, comme s’ils étaient le reflet de mon propre chaos. Le vrombissement des scooters, le grésillement des enseignes lumineuses, tout montait en crescendo dans ma tête.
Et puis, je l'ai vu. L'enseigne du Ninkasi. Là, juste devant moi. Le craving a surgi, brutal, comme une vague qui m’écrasait soudain. J’ai senti mes jambes ralentir. J’ai fixé le logo sans pouvoir m’en détacher. Il y avait quelque chose de magnétique, de trop familier. Mes lèvres se sont desséchées d’un coup, et dans ma gorge, l’amertume du souvenir est montée, violente. L’image de la bière fraîche, la mousse dorée, ce goût qui apaisait tout… Je pouvais presque le sentir glisser dans ma gorge.
Mon cœur s’est accéléré, chaque battement devenait plus lourd. Je me suis arrêtée net. Tout autour de moi semblait s'éloigner. Le brouhaha des gens, la chaleur, même les couleurs criardes des vitrines, tout perdait de son intensité, comme si le monde s'effaçait pour ne laisser place qu’à cet instant, à ce désir brûlant. Je savais ce que cela faisait. Je savais le soulagement que ça apportait. C'était là, à portée de main.
Je restais plantée là, figée, le regard rivé sur l'entrée du bar. Mes doigts tremblaient légèrement. Une sueur froide glissait le long de ma colonne vertébrale. Tout ce que je voulais à cet instant, c’était cesser de lutter, me laisser glisser vers cette certitude réconfortante. Rien d'autre ne comptait. Il n'y avait plus que cette envie, ce besoin.
J'ai fermé les yeux, inspiré profondément, cherchant à me raccrocher à quelque chose de concret, mais tout semblait s'effondrer. La lutte intérieure prenait toute la place, envahissait mon esprit, mon corps. Je n'entendais plus que le bourdonnement du craving, une pulsation sourde qui résonnait dans mes tempes. Je sentais mes jambes vaciller, prêtes à me mener à l’intérieur, presque malgré moi.
Mais non. Pas cette fois.
Autre texte d'Agnès : http://www.kreizker.net/2024/09/du-gouffre-a-la-lumiere-une-resilience-retrouvee.html
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