Bref retour sur la genèse du groupe AA de SaintCloud (92) qui fête ses 50 ans le 28 novembre.
Chef du service de gastro-entérologie de l’hôpital de Saint-Cloud en 1967, le Dr Haas, pionnier de l'alcoologie en France, constate que nombre de ses patients sont alcooliques. Ce médecin juif, ancien déporté, fait le parallèle entre les prisonniers des camps et les malades de l’alcool : résister au mal et à la culpabilité ensemble est une question de vie ou de mort. Son service a essentiellement des dortoirs de 10 lits. Il remarque que les patients des dortoirs parlent entre eux, sortant ainsi plus facilement du déni.
Il crée dans l’hôpital une équipe dédiée avec des réunions où patients et rétablis se côtoient. Il impose une collaboration active avec les groupes d'entraide : Vie libre, AA, Croix bleue, etc.
Parmi ses patients, une certaine Mouka. A 20 ans, cette résistante juive fut 2 fois condamnée à mort par les nazis, et répondit à ses bourreaux : « Je n'ai qu'une seule tête ». Elle survécut à 5 ans de camps de concentration, passa sa 1e année de libération cloîtrée. Puis tenta de vivre… Mouka se marie, a une fille. Son mari la trompe. Folle de rage, elle divorce. Brisée, elle se met à boire. 2nd mariage et 2 nde fille ; elle ne divorce pas d’avec l’alcool. Impuissant, son mari va aux Al-Anon. Peu à peu, Mouka va en réunion AA. Elle les fréquente 10 ans sans arrêter de boire. Son argument : « J'ai survécu aux camps - je suis donc plus forte que l'alcool ».
Elle prend un peu conscience de sa défaite lorsqu’à court d’argent, elle est obligée d’acheter du « gros rouge ». Un jour, soûle sous la table, elle supplie son mari de la relever. « Tu te débrouilles ! », répond-il avant de sortir. « S’il ne me protège plus, je suis morte, songe-t-elle. J’arrête de boire ! ». Mouka retourne au quai d’Orsay et revoit le Dr Haas à Saint-Cloud. Très vite, il l’implique dans le service. Elle se présente aux internes comme « l’alcoolique du service ». Le 7 novembre 1974, elle ouvre la 1e réunion du groupe dans une « vieille maison en bois », en face de l’hôpital. Très franche avec les patients, à peine sortis, Mouka leur fait traverser la rue et les « colle » en réunion. Toujours la question de vie ou de mort.
Cette ambiance pionnière laisse des souvenirs extraordinaires aux anciens, avec le plancher en vieux bois, un esprit de famille et d’entraide formidable, même si les conseils et mises en garde étaient directs.
En dépit de la destruction de « la vieille maison », des changements de salle, du transfert du service d’alcoologie à Sèvres, d’une scission, de hauts et de bas, le groupe de Saint-Cloud porte toujours le témoin transmis par Mouka. Ce relai, il le transmettra encore dans 50 ans. Question de vie ou de mort…
Des serviteurs du groupe