A.A. : les 12 Étapes pour sortir de la dépendance (2)
in "Clés" (France) - Par Michel Géraud
Comme Bill allait l'admettre plus tard, son caractère humanitaire s'allia alors à toute sa nouvelle spiritualité, pour former un composite tellement ambitieux qu'il aurait pu passer pour mégalo : “Je m'entendis très vite dire que j'allais régler le problème de tous le ivrognes du monde, quand bien même les chances de succès étaient restées quasi nulles depuis cinq mille ans”.
Mais dans le hall de l'hôtel May-flower (le nom du bateau des Pères fondateurs des États-Unis !), à Akron, petite ville du Middle-West, Bill W. fut de nouveau hanté par ses vieux démons. Ce qui le sauva de ce bar d'hôtel qui clignotait au fond du corridor et de ce nouveau terrible “premier verre”, ce fut cette idée toute simple : il lui fallait d'urgence parler avec un autre alcoolique.
Après plusieurs coups de téléphone, Bill obtint un rendez-vous avec un médecin, gravement alcoolique lui-même, qui lui dit n'avoir que quelques minutes à lui consacrer, tant sa “gueule de bois” ne pouvait s'accommoder d'un “raseur” de New-York, se présentant lui-même comme un “chasseur de rhum”. En fait, la rencontre dura une dizaine d'heures. Ce que les deux hommes s'y dirent est resté dans l'anonymat. Mais ce qu'il en est resté est capital : c'est l'identification d'un alcoolique à un autre, et la valeur thérapeutique sans égal d'une telle identification.
Bill W. venait de rencontrer Dr Bob, l'homme qui allait l'aider à écrire les Douze Étapes et à fonder les A.A.
Le Groupe d'Oxford
Comme il le dira lui-même : “Je traversai alors une période où je prêchais les alcooliques, pensant qu'ils avaient besoin d'une expérience spirituelle spectaculaire, semblable à la mienne”. Le Dr Bob l'aida à corriger le tir, en lui montrant la nécessité de faire d'abord prendre conscience à l'alcoolique de son “besoin de l'autre malade alcoolique”. Bill fut aussi aidé par le Dr Silkworth, qui trouvait qu'il prêchait trop, et pensait qu'avant de parler d'“éveil spirituel” il convenait de parler d'alcoolisme et de dire que cette maladie vous condamnait à devenir fou ou à mourir. Venant d'un autre alcoolique, cet avertissement avait une chance de “fissurer les egos tenaces”. Plus tard, cette prise de conscience marquerait le passage entre la Première et la Seconde Étape. Pour Bill W., cela correspondait très précisément à son propre accès à la sobriété. Son expérience spirituelle le rapprocha alors du groupe d'Oxford, une autre rencontre qui allait avoir une importance capitale - parce que cela le rapprochait du Dr Bob, membre de ce groupe, mais surtout parce que cela le mettait en contact avec cette idée, révolutionnaire à l'époque, d'un “groupe de soutien”, d'un groupe de parole et d'appartenance, essentiel pour rompre l'isolement et faciliter l'expression.
Créé dans les années vingt par un prêtre luthérien, le Dr Frank Buchman, le Groupe d'Oxford avait connu une certaine audience dans l'Amérique en crise. Les principes qui avaient présidé à sa création était un évangélisme adapté au monde moderne, faisant appel à des règles communes à toutes les religions et pouvant se résumer ainsi : “Peu de théologie, mais une honnêteté absolue, une pureté absolue, un désintéressement absolu et un amour absolu”. Avec comme résultat concret : l'aide, la chaleur humaine et la sensation de quitter l'indifférence que l'on pouvait ressentir dans les groupes classiques. Pourtant, le Groupe d'Oxford avait finalement échoué (notamment avec les alcooliques). L'examen des raisons de l'échec n'avait fait que confirmer Bill W. et le Dr Bob, dans cette idée que les groupes d'entraide devaient reposer sur l'identification à une problématique et une souffrance communes. Ce fut le fruit de l'expérience d'autres groupes, qui conduisit finalement Bill W. et le Dr Bob à fonder, à Akron, avec le succès que l'on sait, les premiers “groupes de partage” d'alcooliques s'aidant les uns les autres.