À Limoges, les AA s’entraident
Au centre d'une pièce exiguë, quatre "amis" – comme s'appellent les alcooliques anonymes – sont réunis autour d'une table et de cafés décaféinés. Sur le papier peint orangé, des affiches invitent à « vivre et laisser vivre », à « agir aisément ». C'est ici que deux fois par semaine, les AA se retrouvent et évoquent ensemble leurs angoisses, rechutes, parcours et espoirs. « On vient là avec ses valises », métaphorise un "ami" présent.
« Finalement, je ne savais plus rien faire sans boire »En franchissant la porte des AA, ces hommes et femmes traînent derrière eux des années d'alcoolisme, avec parfois, à un moment donné, l'impression d'avoir « touché le fond ». Aldo, 50 ans, est lui tombé dans l'alcool au tout début de l'adolescence. « En famille, c'était un coup de rouge en mangeant. » Puis il prolonge en dehors des repas, en cachette. Boit avec des jeunes plus âgés, qui « peuvent le suivre ». « J'ai cultivé très tôt une forme de complexe d'infériorité, alors l'alcool m'aidait à affronter la vie. » Puis ça s'accélère. Le matin, « on prend quelques verres de blanc pour éviter la tremblote. Et pendant le reste de la journée, le soir, il y a toujours des prétextes pour consommer de l'alcool. Finalement, je ne savais plus rien faire sans boire, explique-t-il. Pendant des années, on arrive à tenir le coup, physiquement, puis on commence à s'enfoncer. J'ai bousillé plein de bagnoles, j'ai failli tuer des gens ».
Pendant des années, parfois, la vie s'articule autour de l'addiction. Michel, lui, rusait pour essayer de cacher sa consommation à sa femme. « Elle mettait des traits sur la bouteille de whisky-jus d'orange pour vérifier qu'elle ne descendait pas trop. Mais je planquais une autre bouteille que je remplissais. C'était morbide. Je passais le week-end sans alcool, et dès qu'elle partait au travail, je buvais. »
Tous expliquent la difficulté à admettre la maladie. « On est complètement dans le déni », insiste Robert. « Je n'étais pas alcoolique, j'étais un aventurier. On se ment à soi-même », note Aldo.
Puis un jour, dans leur cas, vient le déclic. « Un accident provoqué après plusieurs verres », pour Ghislaine, qui finissait par boire de l'alcool à brûler avec un peu de sirop de fraise et d'eau. Des tentatives de suicide ou une entrée en hôpital, pour d'autres.
« Il ne faut pas rester seul face à ses problèmes », martèlent les AA.
Thérapie de groupe« Quand j'ai appelé les AA, j'ai discuté pendant une heure, et j'ai pleuré au téléphone. C'était la première fois de ma vie que quelqu'un comprenait », se souvient Aldo. Lors de sa première réunion, Ghislaine dit n'avoir « rien compris ». Elle est revenue, puis s'est mise à parler. Beaucoup. « Maintenant je me rends compte que je parle moins. Mon sac est plus vide ! Quand on sort de réunion, on est apaisé, c'est magique. » Pendant ces temps d'échange qu'elle nomme "thérapie de groupe", on laisse le flot des mots apaiser les maux. Sans interrompre et sans juger. La seule règle : une bonne écoute. Les AA proposent une abstinence totale, avec une méthode : travailler 24 heures par 24 heures. Chaque jour devient une nouvelle étape, jusqu'à ce que l'envie soit moins forte.
C'est une démarche au long cours (souvent associée à un suivi médical) qui peut prendre de semaines, des années, ponctuée par des rechutes, parfois encore plus terribles. « J'ai commencé à me débarrasser de cette envie de façon progressive, en apprenant à vivre au jour le jour », raconte Michel, abstinent depuis maintenant des années. « Quand je regarde ce que je suis devenu aujourd'hui, c'est presque un miracle. J'ai une vie tellement normale ! Je peux me regarder dans un miroir sans rougir. » « J'ai appris qu'il ne faut pas se battre contre l'alcool, mais prendre un autre chemin », résume encore Aldo.
Par la parole, ils reprennent confiance, « se remettent sur les rails de vie ». Et en cas de coup dur, ils savent qu'ils peuvent toujours faire appel à un "ami". La guérison ? « On dit que l'on est toujours malade abstinent, avance Robert, un léger sourire aux lèvres. Petit à petit, on se sent de mieux en mieux. Alors on se dit que ça vaut le coup d'être vécu. »