"Vaincre sa dépendance à l’alcool via l’entraide et la discussion"
in "L'Express" (Drummondville, Québec), 24 Novembre 2024
DÉPENDANCE. La Semaine nationale de sensibilisation aux dépendances (SNSD) a lieu du 24 au 30 novembre. Pour l’occasion, deux membres du regroupement des Alcooliques Anonymes (AA) ont accepté de partager leur témoignage à L’Express sur leur alcoolisme.
Note de la rédaction : L’anonymat est souvent considéré comme la plus grande protection dont dispose le mouvement des Alcooliques Anonymes pour assurer son existence et sa croissance continues. Au niveau des interventions dans les médias, la pratique de l’anonymat souligne l’égalité de tous les membres des AA, selon la fraternité. Ainsi, l’identification des deux membres se limitera à leur prénom au cours de cet article.
Stephen est membre des AA depuis 2019. Ce dernier met aujourd’hui beaucoup de son temps dans le regroupement notamment dans le comité de la collaboration avec les milieux professionnels (CMP) pour partager de l’information sur les AA.
Au secondaire, il a commencé à développer une dépendance à l’alcool qui l’a ensuite amené à consommer du crack pendant sept ans. «L’alcool était pour moi un déclencheur. Je ne pouvais pas consommer d’alcool sans consommer de crack. Je trouvais là-dedans un moyen de remplir un vide», décrit-il au micro de L’Express.
«Pourtant, même après la consommation, le vide était encore là. C’est là que commence un peu le cycle de l’assuétude où il fallait que je consomme davantage parce que ce n’était jamais satisfaisant», se remémore le membre des AA.
Stephen se souvient très bien de son bas-fond. Il s’agit d’un terme connu dans le milieu des AA signifiant un événement traumatique qui va amener la personne à se rendre à l’évidence qu’elle a un problème, selon lui.
«Pour ma part, ce fut lors du mariage d’un collègue de travail. J’avais volé la sacoche de la femme d’un de mes collègues pour m’acheter de la consommation. Après ça, je suis allé en thérapie une première fois pour me rétablir parce que là je devais me rendre à l’évidence que j’avais un problème», admet-il.
Ce comportement allait totalement à l’encontre de ses valeurs. Stephen souligne que bien des gens aux prises avec une dépendance comme l’alcool accordent plus d’importance au fait de consommer que de se nourrir, se laver ou se loger.
Son processus de guérison ne fut pas de tout repos, mais moins difficile que d’autres. «Il faut changer son rythme de vie et probablement son entourage parce qu’on se fait des amis de consommation. Moi, j’ai pris l’habitude de m’isoler lorsque je consommais, donc j’ai pu retrouver mon cercle social une fois que je m’en suis sorti», résume l’homme de 44 ans.
Chuter, puis rechuter
Dans le cas de Stéphanie, tout a commencé avec sa difficulté à gérer ses émotions. Elle a débuté avec une dépendance à la nourriture. Puis, durant sa vingtaine, elle s’est mise à consommer plusieurs drogues dures telles que la cocaïne, le GHB et l’amphétamine, pour enfin se mettre également à l’alcool.
Sa condition d’alcoolique toxicomane l’a amené en situation d’itinérance. «Je n’étais plus capable de payer mes affaires. J’ai fini par suivre une première thérapie, suivis d’une période de transition de six ans. À cette époque, je n’avais pas vraiment essayé de comprendre pourquoi je consommais autant. Je pensais que c’était juste la consommation le problème», se souvient-elle.
Stéphanie a fini par détourner son trop-plein émotionnel vers le sport, la nourriture et son emploi au point d’en être un bourreau de travail. Elle a ensuite enchainé une seconde période de dépendance aux drogues et à l’alcool à un point où elle est retombée en situation d’itinérance.
Son bas-fond est survenu il y a de cela trois ans. «J’étais au pied du mur et j’avais une sincère envie de mourir. Je ne me sentais plus bien quand je consommais. C’est à ce moment que je me suis dit qu’il faut que je fasse quelque chose», dit-elle en sirotant son thé au Café Morgane.
«J’ai fait une deuxième thérapie et c’est là que je me suis questionné sur ce qui se cache derrière ma consommation. Le voyage avec Stéphanie a commencé, [un] voyage à l’intérieur de moi. J’ai entamé mon processus de guérison pour arrêter d’être en mode survie et commencer à vivre normalement», confie celle qui travaille maintenant dans le domaine de la construction.
Pour y arriver, Stéphanie a quitté sa région natale de Lanaudière pour recommencer sa vie à zéro à Drummondville. Elle a fini par rejoindre les AA peu de temps après sa deuxième thérapie. C’est là que sa vie a pu enfin prendre un sens.
«J’ai fini par trouver des gens comme moi. J’ai compris que je ne serai plus jamais seule. Je suis rendue à l’étape de m’investir dans le mouvement pour aider un autre alcoolique. C’est ça qui donne du sens à ma vie et ça me décentralise de mes propres problèmes en aidant un autre à s’en sortir», énonce celle qui compte rester dans les AA pour le restant de sa vie.
Rétablissement
Stephen insiste sur le fait qu’il n’existe aucun remède scientifique à l’alcoolisme et la toxicomanie. Chez les AA, le processus de rétablissement se fait en grande partie grâce aux réunions entre les membres en présentiel ou même en ligne.
«C’est en 1935 qu’est née cette fraternité de rétablissement grâce aux deux cofondateurs : Bill et Bob. Ils se sont rendu compte qu’en discutant ensemble de leurs problèmes de consommation, ça les préservait de l’idée de consommer. Plus ils passaient du temps à en discuter, moins ils prenaient de temps à penser à consommer. C’est là qu’ils ont commencé à élaborer le programme de l’établissement des Alcooliques Anonymes», résume Stephen.
Il soutient que l’implication dans le mouvement de fraternité reste avant tout sur une base volontaire, mais qu’il est important pour certaines personnes dans le processus de guérison.
Stephen ajoute que n’importe qui, peu importe son âge, son genre, son ethnie ou sa profession, peut tomber dans les travers de la dépendance à l’alcool. Le membre rappelle que les gens peuvent se rendre sur le site web des Alcooliques Anonymes au www.aa.org ou composer le 1-891-478-7030 pour rejoindre le mouvement et trouver une réunion près de chez soi.