La dégringolade à partir de ses 30 ans
Durant cinq ans, de ses 30 à 35 ans, c’est la dégringolade, comme elle le confie.
Je me suis rendu compte que l’alcool me faisait oublier toutes mes angoisses, ça me faisait vraiment tout oublier. Mais dans le même temps, je m’isolais de plus en plus, m’éloignait de mes amis, de ma famille. J’étais très hypocrite, je ne buvais pas lors des repas de famille, ou bien je déclinais l’invitation de mes amis pour rester boire, chez moi, le soir… Je ne m’ouvrais plus à la vie. » Un quotidien que se limite très vite à son travail, ses enfants et son temps libre, « je passais mon temps libre, à boire.
Le déclencheur est une séparation amoureuse, la dépendance va s’installer tranquillement, au rythme d’un verre, puis deux, puis plus, le soir. « Je ne me posais pas la question d’arrêter : pour moi, c’était temporaire, je me disais que je pouvais arrêter n’importe quand sans problème… » Elle hausse les yeux, souffle.
Des réveils sans souvenir
Elle reprend : « Je pouvais boire à 10 h ou 16 h à la maison. Mes enfants me disaient parfois que je sentais l’apéritif… Je m’achetais toujours deux jours de consommation, mais des fois, je buvais tout d’un coup, jusqu’à perdre connaissance. Cela m’est arrivé de faire 60 km à 22 h pour trouver la supérette encore ouverte dans une grande ville… »
Parfois, la dépendance est plus forte, elle a ouvert parfois une bouteille dans sa voiture, en sortant du travail, n’attendant pas le retour à la maison. Certains matins, elle se réveille sans aucun souvenir de la veille : « Je prenais mon téléphone en mai, et là je voyais que j’avais téléphoné à des gens, et je ne me souvenais même pas des conversations. »
Le cliché de l’alcool au masculin
Elle finit par prendre conscience de son addiction, « mais au bout de ces cinq ans-là, j’ai mis deux ans pour comprendre que j’étais alcoolique. » La quadra a du mal à s’imaginer dépendante : « Pour moi, un alcoolique, c’était un pilier de comptoir titubant, un homme ; pas une femme. J’avais l’image de l’alcoolisme au masculin. »
Elle confie avoir vu récemment un film avec l’actrice Claire Keim, La Soif de vivre, sur l’alcoolisme au féminin.
J’aurais aimé le voir avant tout ça…Oui, il y a des femmes alcooliques en France. Et il ne faut pas avoir honte parce qu’on est une femme. Par exemple, les femmes qui boivent, changent de magasins très souvent pour ne pas se faire repérer, ou bien achètent un tas de courses complètement inutiles pour fondre les bouteilles dans la masse ; un homme qui boit, il s’en fout, il ne change pas de magasin, et ça ne dérange pas les gens de voir un homme sortir avec plein de bouteilles, mais une femme, le regard est différent…
Avec cette de prise de conscience, d’autres doutes s’installent : la peur qu’on lui enlève ses enfants, qu’elle perde son travail. « Même si je l’avais déjà perdu à mes yeux, j’avais peur de perdre ma dignité aux yeux de la société. » Elle ne parle de son alcoolisme à son médecin traitant et fait une tentative de suicide.
Les groupes de paroles, sa délivrance
« Heureusement, la vie m’a retenue… » Finalement, elle s’ouvre à son médecin, « il m’a envoyé vers des professionnels compétents. Mais il m’a fallu deux sevrages, deux post-cures, deux rechutes. » Elle fait sa première rechute au bout de 7 mois d’abstinence, en pensant qu’elle pouvait consommer à nouveau comme tout le monde, « mais c’était pire qu’avant. » Sa deuxième période d’abstinence a duré neuf mois, « il a suffi d’un verre pour que je dégringole pendant un mois. »
Après cette deuxième rechute, elle se renseigne sur une autre façon d’être accompagné, « je recherchais des groupes de paroles d’anciens buveurs, je me suis rapproché des Alcooliques Anonymes et d’un autre mouvement dont je ne me souviens plus du nom. »
Et là, c’est la délivrance. C’est le mot qu’elle emploie, une délivrance.
Ils savaient de quoi je parlais, on avait tous vécu sensiblement la même chose. D’être dans ces groupes de paroles, cela m’a appris à appréhender la maladie, l’alcoolisme. Ça touche monsieur et madame Tout-le-Monde : c’est comme le diabète, ça peut toucher n’importe qui. C’est grâce à mon passage toutes les semaines dans ces groupes que je me suis rétablie sereinement. Je ne me sentais plus seule, ça m’a permis de me resociabiliser, de retrouver une légitimité.
Elle renoue avec ses proches
Trois ans sans boire, à se rendre compte que l’on peut être heureuse sans alcool, « je cultive mon grain de folie même à jeun ! » sourit-elle. Elle insiste, son abstinence est possible grâce à une vigilance de tous les jours ; un seul verre, et elle replonge. Elle se méfie aussi des aliments cuisinés avec l’alcool.
Peu importe avec quoi on trinque, on est juste là pour partager une bonne nouvelle, pas besoin d’alcool. J’ai les outils, je sais contrer cela.
Elle s’est fait de nouvelles relations amicales ; petit à petit, elle renoue avec sa famille. Quant à ses enfants, « ils ont toujours été d’un grand soutien. Ils ne m’ont jamais tourné le dos, ils me disent que je suis une battante. » La maladie de leur mère leur fait changer de regard sur l’alcool, à l’âge où les jeunes commencent à consommer. Et elle conclut, avec philosophie : « J’ai arrêté de boire pour vivre et je continue de vivre pour ne pas boire. »