"Alcoolisme. Ne plus vivre à genoux" & "Redonner du sens à la vie"
in "Le Télégramme", 27 mars 2018
Alors que les Alcooliques Anonymes affichent trente ans de présence à Morlaix, Mireille (*) une fondatrice du groupe local, en 1988, se souvient de l’aventure et de son propre parcours face à la maladie de l’alcoolisme. Deux autres membres livrent aussi leurs témoignages.
30 mars 1988. La date est inscrite à l’intérieur du cahier de la toute première réunion. Et c’est ce mercredi soir que le groupe local des Alcooliques Anonymes de Morlaix fêtera ses trente ans d’existence. À l’origine, ils étaient presque tous brestois, excepté un Morlaisien.
Toute l’énergie que nous avions mise à nous saouler, nous avions décidé de la mettre à faire quelque chose de bien.
Mireille, bientôt 70 ans, présente ce jour-là dans les locaux de l’ancien lycée de Kernéguès, se souvient : « Toute l’énergie que nous avions mise à nous saouler, nous avions décidé de la mettre à faire quelque chose de bien ». Ce 30 mars, il y avait 50 francs dans le chapeau, où chacun remettait sa participation. « Et nous avions tous fait le voyage dans la même voiture depuis Brest… ».
Il n’y avait pas de groupe à Brest. « Alors, avec un ami, aujourd’hui disparu, nous l’avons créé. Nous avons même essaimé à Concarneau ».
« Apprendre en écoutant », c’est l’exercice auquel les participants se livrent, pendant un peu plus d’une heure. La parole se libère et les souffrances s’expriment.
Mireille est l’une des rares, pour ne pas dire la seule du groupe, à ne pas être passée devant le juge. Un passage fréquent pour les personnes atteintes d’alcoolisme. Une maladie qui conduit, régulièrement, au délit voire au crime.
Maman, je suis fière de toi
« Ma fille est même venue aux réunions. Elle avait 15 ans les premières fois. Elle a compris ce que je vivais.
Maman, je suis fière de toi », lui avait-elle dit…
Mireille est formelle : « Si je n’avais pas arrêté de boire, mes enfants n’auraient pas pu accomplir d’études supérieures. J’en suis certaine ».
Son mari aussi a fini par déculpabiliser. « Les médecins ont réussi à lui faire comprendre qu’il n’y était pour rien. Dans ces situations, le conjoint s’en va. Souvent. Moi j’ai eu de la chance ».
Et pourtant, rien n’était gagné. Elle se souvient des après-midi où elle oubliait d’aller chercher ses enfants à l’école, ses passages en pharmacie, pour demander de l’alcool à 90°, à la grande surprise du pharmacien…
« J’avais perdu la maîtrise de ma vie. J’étais venue ici alcoolique et je suis repartie soulagée. Je savais que le programme qui m’était proposé allait me faire réfléchir… ».
« Je ne suis plus alcoolique »
« Aujourd’hui, mon petit-fils a de gros problèmes avec le cannabis. Et la porte est ouverte », précise Mireille. « Je le reçois ; je l’écoute ».
Un jour, des amis lui ont dit : « Tu ne bois plus, tu n’es plus alcoolique ». « Et c’est vrai, je ne suis plus alcoolique ! », s’exclame-t-elle.
En face de Mireille, Pierre. Il n’a pas pu dire sa dépendance à la femme qu’il avait rencontrée, provoquant son départ. Il a connu la rechute. « J’ai appelé Luc au téléphone – son parrain dans le groupe et devant lequel il témoigne — et c’est comme ça que je m’en suis sorti ».
Pierre, autre parrain, présent depuis 1993, cite avec émotion les paroles de « Nuit et Brouillard », chantée par Jean Ferrat : « D’autres ne priaient pas, mais qu’importe le ciel. Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux ». Il reprend ces paroles, et les détourne fièrement pour son propre compte : « Moi je ne voulais plus vivre à genoux devant l’alcool ! ».
(*) Pour préserver l’anonymat, les prénoms ont été modifiés.
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in "Le Télégramme", 27 mars 2018
Redonner du sens à la vie
À l’heure où les centres d’addictologie affichent complets, le mouvement des Alcooliques Anonymes se targue de son utilité publique.
Ils sont une vingtaine à se réunir, tous les mercredis, dans l’ancien lycée de Kernéguès, à 20 h 30.
« Sans la salle prêtée gracieusement, comme d’autres, notre groupe des Alcooliques Anonymes, qui refuse les subventions, serait mort aujourd’hui », affirme Luc, modérateur aux réunions.
« Beaucoup d’alcooliques sont venus chez nous suite à des articles parus dans la presse. Des vies ont été sauvées ! ».
« Respecter ce programme, c’est avoir 99 % de chances de s’en sortir ».
Ceux qui arrivent la première fois reçoivent toujours la même proposition : Ne pas boire pendant une journée entière.
Aux réunions, s’ajoutent les permanences téléphoniques, utiles lorsque l’un des membres est sur le point de flancher. Et la littérature aussi, qui invite à la réflexion et encourage à l’abstinence. « Respecter ce programme, c’est avoir 99 % de chances de s’en sortir ».
À l’antenne, chacun a une fonction, appelée « service ». Une fois l’an, en novembre, les services sont remis à la disposition du groupe qui redistribue les cartes.
De plus en plus de femmes et de jeunes franchissent le seuil de l’antenne. « Certains de ces jeunes arrivent avec des poly dépendances. Ils quittent parfois l’alcool pour retomber dans la drogue ou l’inverse… ».
L’an dernier, pour se faire connaître, 300 courriers ont été adressés. « Parmi les médecins contactés, une seule doctoresse est venue à nos réunions », déplore Luc.
Des ecclésiastiques ont aussi été approchés. Certains ont répondu positivement.
« Être plus heureux sans boire est notre but. Il faut redonner du sens à sa vie. Et pour cela, les Alcooliques Anonymes, c’est une véritable philosophie de vie ».
Pratique
Contact local : tél. 06 42 23 72 22