in "Le Big" n° 469, Mai 2024
Comment ne pas être troublé quand on pénètre dans ce lieu immense. Ou des centaines, des milliers ? hommes sont enfermés dans plein de petites boîtes. Des hommes du dehors viennent voir ceux du dedans Ils viennent partager disent-ils.
Ceux de l’intérieur veulent respirer un air de liberté, de cigarettes, de gâteaux. Et ils sont comme des enfants, pas concernés, dissipés, attentifs voir pénétrés, timides. Car ils ont du mal à parler, à s’exprimer, à comprendre ce qu’ils doivent dire. Comme s’ils n’avaient pas le vocabulaire ou qu’ils ne peuvent imaginer que pour une fois, on leur demande, ce qu’ils ressentent au plus profond d’eux même, et que pour cela ils ne seront non seulement pas jugés mais même encouragés – les applaudissements à la fin de chaque partage en feront.
Alors certains, écoutent, écoutent, les yeux baissés, les lèvres serrées, les visages concentrés presque fermés. D’autres essayent de profiter de cet instant d’évasion, ou presque. Car beaucoup, beaucoup sont là, directement guidés par le bout du nez de l’alcool sournois, qui de la toute-puissance portée par ses effets, les a conduits à l’impuissance totale de la condition de prisonnier.
Et nous aussi d’ailleurs, sans cette maladie progressive, nous ne serions pas là. Alors ces prisonniers du dedans et du dehors, se rencontrent, se jaugent et s’écoutent avec une bienveillance que la perspective des sodas et des gâteaux apportés par Christine et le comité, - pour fêter ce 45e anniversaire, aide surement un peu.
Philibert
Je m'appelle Stéphane, je suis un alcoolique et j'ai eu la chance de célébrer ce mois-ci mes deux ans d'abstinence. C'est un véritable miracle, que je vous dois à vous les amis, au mouvement et aux douze étapes qui m'ont permis de me réconcilier avec le concept d'une puissance supérieure et de me rétablir, un jour à la fois, de cette terrible maladie qu'est l'alcoolisme. Ce samedi 20 avril 2024, j'ai eu l'honneur de participer à une réunion des Alcooliques Anonymes à la Maison d'Arrêt des Hommes de Fresnes. C'était une réunion spéciale, car le groupe de Fresnes célébrait ce jour-là son 45e anniversaire. Les gâteaux et autres gourmandises étaient de mise et quelle joie de partager tout cela avec les détenus. La première émotion qui m'a envahi en entrant dans l'enceinte de la prison ce fut la gratitude. C'était d'ailleurs le thème choisi par le modérateur lors de cette réunion. Combien de fois aurais-je pu me retrouver en prison à cause de ma maladie et de ma consommation.
Pire que cela, j'ai personnellement touché mon fond en étant extrêmement violent, même sans consommer d'alcool, car être alcoolique, c'est aussi cela. C'est l'incapacité à gérer mes émotions et ma colère, qui a fait qu’un jour, j'ai basculé, même sans consommer d'alcool. En une fraction de seconde, j'aurais pu prendre une lourde peine, tout perdre et même ôter la vie. J'aurais pu perdre mon fils, ma famille, mes amis, ma vie et me retrouver entre les murs d'une prison pour avoir commis l'irréparable. J'ai frôlé la folie, la prison et la mort en une fraction de seconde.
Comme un rouleau compresseur émotionnel, la maladie de l'alcoolisme brise nos vies, mais elle brise également celles de nos proches. Quelle gratitude d'avoir eu, une fois de plus, une seconde chance et d'avoir trouvé le chemin des salles. Cette seconde chance, les amis détenus que je m'apprête à rencontrer ne l'ont pas eue, ou du moins, ils ont eux fini en prison. La seconde émotion qui m'envahit, c'est la peur.
Georges, un ami AA qui m'accompagne doit transmettre les noms des détenus au responsable de l'aile nord et je me retrouve seul dans un couloir immense, entre les portes des cellules. Un homme marche vers moi, c’est un détenu. Il s'approche et me dit son prénom : « Silver, je m’appelle Silver, comme le mot "argent" en anglais. Je viens pour la réunion, c'est la deuxième fois que j’y participe. » Nous sympathisons immédiatement. Une forte connexion se créer et nous parlons pendant dix minutes de cette fichue maladie. Évidemment, lui a tout perdu et comprend mal comment il en est arrivé là. Puis, nous allons nous installer dans une salle. Il y a une vingtaine de détenus et une dizaine d'amis AA. La réunion commence. L'ambiance est chaleureuse, les détenus sont contents d'être là. C'est une réunion classique, sauf qu'à la fin, mes nouveaux amis retourneront en cellules. Ils se livrent, ont peur de rechuter, de leur sortie. Ils sont aussi timides et écoutent beaucoup les témoignages des amis AA en applaudissant à la fin de chaque partage. Je suis très ému. Les témoignages de mes amis AA transmettent expérience, force et espoir aux détenus qui semblent apaisés.
Comme me l'a dit Silver, cette réunion est une bouffée d'air frais dans sa semaine en prison, un espoir d'une vie sans alcool où tout redevient possible. Je quitte cette réunion avec une immense gratitude, celle d’avoir partagé un moment intense avec mes nouveau amis mais également la gratitude d’être libre. La gratitude d’avoir pu, je l’espère, transmettre expérience force et espoir à mes nouveaux amis qu’il me tarde de retrouver prochainement. Des amis humanisés qui se sentent compris et en sécurité le temps d’une heure, une heure hors du temps….
Merci mon Dieu et merci à toi George, de m’avoir proposé de venir participer à cette expérience incroyable, inoubliable qui à énormément renforcée mon abstinence. Merci les AA et merci à vous mes amis détenus, vous êtes dans mes prières.
Stéphane