in "France Dimanche", 30 janvier 2014
Anne V., Paris
Elle avait sombré dans la boisson suite à une déception sentimentale. Après vingt ans d’abus, elle s’est enfin libérée. Le déclic s’est produit dès la première réunion aux “AA”, il y a trente-trois ans de cela.
« J’ai commencé à boire à l’âge de 27 ans. Je travaillais dans l’édition, un métier que j’adorais. J’ai vécu une belle histoire d’amour qui a mal fini. J’ai alors sombré dans un alcoolisme solitaire et cyclique : à certaines périodes, j’ingurgitais des litres d’alcool, à d’autres, j’avais une consommation normale. Lors de mes crises, je buvais de manière irrépressible. Tout ce que j’avais sous la main y passait : whisky, bière, vin… Je dépensais des fortunes en bouteilles que je finissais par vider dans l’évier pour ne pas les boire.
Progressivement, l’accoutumance s’est installée et le cerveau réclamait sa drogue. Alors, durant mes journées de travail, j’allais dans les bistrots pour tenir jusqu’au soir, mais jamais plus d’un verre à la fois et jamais dans le même bar : je voulais me cacher, car le poids de la honte pour les gens qui boivent, et plus encore pour une femme, est effroyable.
Depuis 1981, Anne n'a pas touché à ce poison et dans le cadre des AA soutient d'autres malades
Maladie
Puis j’ai fait la connaissance de celui qui est devenu mon mari. J’avais tout pour être heureuse : un métier qui me comblait, mon homme que j’aimais… Et pourtant, j’ai continué à boire. Au bout de dix ans, j’ai vraiment voulu m’arrêter. J’ai alors entrepris une psychanalyse. En vain : huit ans plus tard, quelques semaines après la fin de mon analyse, j’ai sombré à nouveau. Je savais que les cures de sevrage ne servent à rien : les médecins ne traitent pas le désir de boire !
À présent, dans certains hôpitaux, comme celui de Sèvres (Hauts-de-Seine), on prend en compte la personne dans sa totalité, grâce à des groupes de parole, une psychothérapie, une information sur l’alcoolisme… Un jour, on m’a parlé des Alcooliques Anonymes (les “AA”), une organisation mondiale d’entraide bénévole entre personnes devenues abstinentes ou désirant le devenir. Mon désir d’arrêter était immense, j’y suis donc allée. Toutes les catégories sociales étaient représentées, du déménageur au banquier, et il y avait autant de femmes que d’hommes.
Dès la première réunion, j’ai eu le sentiment de ne pas être jugée et même d’être comprise. D’emblée, on est venu vers moi et je me suis sentie accueillie et entourée d’un amour inconditionnel. On m’a expliqué que l’alcoolisme était une maladie, que je n’étais pas responsable et qu’on pouvait en guérir.
Outils
Pour moi, le déclic a eu lieu dès la première réunion : j’ai arrêté de boire le 7 janvier 1981, il y a trente-trois ans. L’alcool ne me manque pas, même si je regrette de ne plus pouvoir en boire. Mais je suis heureuse que les gens continuent d’éprouver du plaisir à le faire et j’ai continué à avoir de l’alcool chez moi, pour mon mari, les amis…
C’est pour venir en aide à d’autres alcooliques et à leur famille que j’ai voulu écrire ce livre, dans lequel je raconte mon histoire et donne des conseils et contacts utiles. Ce type d’ouvrage m’aurait sauvé la vie à l’époque, lorsque j’étais perdue et que je ne savais pas à quelle porte frapper. Je n’ai pas d’enfants, je suis heureuse de ne pas avoir fait souffrir d’autres personnes, à part mon mari, même si c’est déjà trop. Aujourd’hui, je continue de fréquenter les “AA”. Ils fournissent des outils très concrets pour ne pas boire. On se choisit un parrain ou une marraine : quelqu’un qui vous plaît, qui est abstinent depuis plus longtemps que vous et qui vous aidera au jour le jour.
J’ai six filleules. Les premiers temps, j’ai souvent eu l’impression d’avoir des enfants accrochés à mes jupes. Depuis, elles ont beaucoup grandi ! En plus du parrainage, d’autres astuces sont proposées pour se sevrer, comme, par exemple, ne pas se dire : “Je m’arrête de boire pour toujours”, mais raisonner sur une courte durée : “Je tiendrai 5 minutes, 10 minutes, jusqu’au déjeuner, pendant vingt-quatre heures…” Autres outils : fréquenter régulièrement les réunions, comme on prendrait un médicament, et ne pas hésiter à appeler à l’aide un autre “AA” quand on éprouve le besoin de se remettre à boire. Entendre des mots rassurants de sa part peut faire disparaître l’envie.
Mais ce qu’apportent les “AA” va bien au-delà de l’alcool : ils aident à retrouver des rapports sociaux ou affectifs, à s’ouvrir sur le monde et, surtout, à reconquérir sa liberté ! »