"Avec les Alcooliques Anonymes" de Joseph Kessel
in "Les Plumes Baroques" (Blog littéraire de deux passionnés de littérature qui souhaitent vous faire partager leurs lectures), 18 janvier 2016
Ayant découvert Joseph Kessel en 2015 avec, tout d’abord, « Le Lion », je ne cesse depuis lors de parcourir l’étendue de l’œuvre de cet auteur que je trouve particulièrement doué. Nous sommes davantage en présence, avec ce livre, d’un reportage, et donc du journaliste-écrivain qu’a été Joseph Kessel.
Afin de replacer le contexte, ce livre est sorti en 1960, à une date ou l’association des Alcooliques Anonymes (A.A) n’existait pas encore en France. Elle s’était pourtant d’ores et déjà durablement implanté aux Etats-Unis, lieu de création de ces groupes d’entraides voués à aider les alcooliques, à les faire parler, dans l’unique but de se soigner, d’arrêter de boire et d’en finir avec la descente aux enfers qu’impliquent forcément une consommation excessive et un besoin vital d’alcool.
Joseph Kessel fut fortement intrigué par cette association et la rédemption qu’elle permettait à des individus voués à la déchéance. Il était d’autant plus intrigué qu’il ne comprenait pas comment des personnes aisées et sans problème en apparence pouvaient sombrer à ce point dans l’alcool et dans l’autodestruction. Pour satisfaire son insatiable besoin de comprendre, l’auteur décida de partir pour les Etats-Unis afin d’en apprendre davantage sur ces fameux groupes d’entraide.
Durant ce voyage, l’auteur va tenter, à l’aide d’un ancien alcoolique journaliste devenu son ami et conseiller sur le sujet, de constater l’ampleur de cette maladie. Pour ce faire, il débute par la « poubelle humaine », le quartier de Bowery, à New-york, là où les misérables qui ont tout perdu à cause de la boisson se rejoignent dans les « assommoirs », à boire de la piquette et des mélanges d’alcools bon marchés : « chez les plus touchés, dont le corps se réduisait au squelette et qui avaient des faces d’agonie, cette insensibilité se traduisait par la torpeur, l’hébétude ».
Ce qui va particulièrement toucher et choquer Joseph Kessel, ce sont les histoires et les destins se cachant derrières ces alcooliques. Il a, tout le long du roman, eu du mal à comprendre et à accepter de voir une personne bien portante et aisée raconter son passé de loque humaine au quartier de la Bowery. Il lui aura fallu du temps et assister à de nombreuses réunions des A.A en tant que spectateur afin de comprendre comment l’entraide et le soutien humain pouvaient soigner des malades et leur rendre une vie descente.
Ce livre est rempli d’histoires personnelles, de destins tragiques et souvent heureux, fruits du hasard ou de l’association, des moments vécus par des personnes de toute classe sociale, l’auteur ayant à cœur de nous démontrer que l’alcool est une maladie qui peut toucher, sans distinction de place dans la société ou de revenus, tout le monde. Il s’est avéré touché par ces groupes où des gens, qui n’avaient pas forcément à se côtoyer, se rassemblent, s’entraident, unis par une maladie et par une dépendance destructrice.
En somme, je conseille ce livre à tous tant la portée des propos est universelle. Que l’on soit concerné par l’alcoolisme ou non, que l’on soit intéressé par la psychologie et la sociologie ou non, ce livre est riche d’enseignements fondamentaux comme l’entraide, l’humanisme, la rédemption, la détermination et l’importance de vivre. Un reportage rondement mené par la plume toujours aussi agréable de Joseph Kessel, instructif et puissant.
Résumé de l’éditeur (collection Folio Livres) :
«– Je m’appelle Frank T… et je suis un alcoolique.
– Je m’appelle Elizabeth F… et je suis une alcoolique.
Selon la condition sociale, le vêtement était luxueux, ou pauvre. Selon le degré d’éducation, variaient les manières et les voix. Mais l’origine, la culture, le costume, la fortune des hommes et des femmes qui parlaient ainsi et des hommes et des femmes à qui s’adressaient leurs propos n’avaient aucune importance. Ils étaient tous unis par un lien commun, plus fort que celui d’un milieu, d’une race, d’une famille, ou même d’un amour. Blancs ou Noirs, opulents ou misérables, illettrés ou savants, ils étaient solidaires, ils étaient frères à jamais, parce qu’ils avaient subi le même mal dévorant et qu’ils avaient laissé aux griffes du monstre leur chair et leur âme.»
Ce célèbre reportage contribua à l’installation en France des Alcooliques Anonymes. Il conserve toute son actualité.