"Colomiers. Alcooliques Anonymes : faire la fête sans boire d’alcool"
in "La Dépêche" (France), 31 Décembre 2019
Le groupe des Alcooliques Anonymes de Colomiers se réunit toutes les semaines, le jeudi de 19h30 à 21h dans la salle n°5 de l’ancienne école Jean Macé (n°3, square Lahille, premier étage).
"Ces rendez-vous sont immuables, rappelle Louis. Chaque groupe fixe les jour et heure de réunion, et s’y tient."
Cette régularité revêt une importance particulière en périodes de fêtes, car beaucoup ne les vivent pas comme telles.
"Personnellement, elles m’ont longtemps pesé", témoigne Louis. Elles furent un prétexte (un de plus) pour boire plus. Puis ce devint tout simplement une habitude, comme tous les autres jours. Les soirs de réveillons, je me lâchais carrément, avec à chaque fois les mêmes traces d’esclandres, de disputes, de fins de soirées mouvementées. Pour les enfants, c’était bien évidemment des soirs de fêtes gâchés. Je n’ai jamais su vivre mes émotions, cela me procurait une énorme confusion et déclenchait un puissant malaise, que j’ai longtemps cru pouvoir calmer avec l’alcool : ce fut le plus grand leurre de toute ma vie. Ma compagne finit par me quitter, ma famille par ne plus m’inviter. J’étais devenu l’indésirable et, avec le recul, je ne peux que les comprendre !
J’ai rencontré les Alcooliques Anonymes, et grâce à eux, depuis des années, je suis abstinent heureux. Aujourd’hui, sans pour autant être devenu un grand fan des fêtes de fin d’année, je les vis bien, sereinement. Je passe de merveilleux moments avec des amis, avec mon fils, avec ma famille avec qui j’ai renoué, et c’est bien là tout ce que j’avais toujours désiré : pouvoir vivre ce genre de moments et tous les autres, simplement, comme tout un chacun, dans la paix et dans la joie. Si vous me demandez : Est-ce qu’on peut faire la fête sans quelques verres d’alcool ? Je répondrai : Oh que oui, et maintenant j’apprécie réellement."
"Les Alcooliques Anonymes : 75 ans de sobriété au Québec"
Radio Canada, 30 Décembre 2019
Les AA ont aidé tellement de Québécois que cet anniversaire devait être souligné, s'est dit notre journaliste.
L'automne dernier, les Alcooliques Anonymes m'ont demandé si j'étais intéressé à faire un reportage sur le 75e anniversaire de leur présence au Québec. Ils avaient organisé une grande fête dans un hôtel de Montréal un vendredi soir de novembre. Je n'y suis pas allé. Mais j'ai eu des remords. D'autant plus qu'aucun média n'a parlé de cet anniversaire dans les jours qui ont suivi.
Plus j'y pensais, plus je me disais que ce mouvement très discret avait dû aider tellement de Québécois pendant toutes ces décennies qu'un tel anniversaire ne pouvait être passé sous silence.
Je songeais à tous ces clubs sociaux qui, à une certaine époque, étaient très présents dans la vie des gens : les Chevaliers de Colomb, les clubs Optimistes, les clubs Lion, sans parler des clubs Aramis. Toujours prêts à aider la veuve et l'orphelin, ces clubs ont fait beaucoup à une époque où le mouvement communautaire, tel que nous le concevons aujourd'hui, était moins développé.
Plusieurs de ces clubs sont en perte de vitesse. Si vous m'aviez demandé il y a quelques jours comment vont les Alcooliques Anonymes, je vous aurais répondu que je n'en avais aucune idée.
Les AA vont bien
Bien sûr, les AA ne sont pas comme les autres clubs sociaux. Ce mouvement vient d'abord en aide à ses propres membres.
Lucien, le coordonnateur de la région 87, qui inclut Montréal et le sud du Québec, m'a résumé en ces mots la mission de l'organisation : « Les AA, c'est une association d'hommes et de femmes qui partagent entre eux leurs expériences, leurs forces, leurs espoirs, dans le but d'aider d'autres alcooliques à rester sobres. »
Pour tâter le pouls du mouvement, j'ai rappelé la personne qui m'avait invité à leur 75e anniversaire en novembre. Je lui ai proposé de faire un reportage dans le temps des Fêtes, à temps pour la nouvelle année.
On m'a alors mis en contact avec Lucien qui m'a invité à participer à un Midi express à Saint-Hyacinthe. Comme son nom l'indique, il s'agit d'une rencontre qui se déroule de midi à 13 h. Il y en a quatre par semaine, du lundi au jeudi. Bien pratique pour les gens qui travaillent, me dit Lucien.
Sur place, une cinquantaine de personnes sont présentes. C'est comme ça tous les midis, semble-t-il. Un peu plus du tiers sont des femmes, un peu moins du tiers sont des jeunes, les autres sont des boomers grisonnants.
Une cinquantaine de personnes ont assisté au Midi express des AA à Saint-Hyacinthe. Une telle rencontre, qui dure une heure, a lieu du lundi au jeudi.
Tous sont de la région de Saint-Hyacinthe, où il existe 14 groupes de soutien qui se rencontrent en soirée – 15 en été, puisqu'il y en a aussi un au camping de Saint-Jean-Baptiste, le Domaine de Rouville.
« Le monsieur là-bas qui vient d'arriver n'est pas de la région. Il est de Saint-Jean-sur-Richelieu, je crois », me dit Lucien. L'homme en question m'explique qu'il roulait sur l'autoroute 20 et qu'il avait envie d'un « meeting ». Le plus près, selon l'application des AA sur son téléphone intelligent, était ici. Alors, il s'est arrêté.
Au Québec, on compte 1200 groupes des AA pour 36 000 membres, en légère baisse par rapport aux années 1990, mais en légère hausse par rapport aux dernières années. « Les groupes, ça va et ça vient, dit Lucien. Dans le district de Saint-Hyacinthe, il y a déjà eu 17 groupes. Il n'y a pas une grosse évolution. »
Le mouvement va bien parce qu'on a une structure. On a une grosse structure. Et on sera toujours là pour accueillir l'alcoolique qui souffre encore. C'est ça qui est important.
Ce qui fait aussi dire à Lucien que le mouvement va bien, c'est le fait que les membres arrivent de plus en plus jeunes.
L'alcool est insidieux, car il est accepté dans la société, contrairement aux drogues. Un alcoolique peut fonctionner longtemps, mais détruire à petit feu son couple et sa relation avec ses enfants, ou perdre son emploi.
Les drogues, on arrive très, très jeunes [dans les Narcotiques anonymes]. Moi, j'ai bu jusqu'à 32 ans, mais il y en a qui vont boire jusqu'à 40, 50 ans avant d'arriver dans les Alcooliques Anonymes.
Faire du meeting
Le fonctionnement des AA repose sur des rencontres de groupes pendant lesquelles quelqu'un vient témoigner. Des échanges s'ensuivent.
Les participants rencontrés à Saint-Hyacinthe avaient cependant tous fait une, deux, ou même trois thérapies individuelles avec des psychologues.
Le mouvement se qualifie avant tout de groupe d'entraide, entraide qui passe par l'implication de chacun des membres.
Certains participent à beaucoup de rencontres, comme Denise, une grand-mère âgée de 75 ans aux cheveux blancs bouclés et au visage lumineux. Voilà près de 30 ans qu'elle est dans les AA.
« J'ai toujours fait deux ou trois meetings par semaine. On ne guérit pas, vous savez. On a un sursis quotidien. »
Quand je suis arrivée au mouvement, moi, ce qui m'a attirée et ce qui m'a, dans le fond, aidée à m'identifier, c'était le désir d'arrêter de boire. C'est spécial, hein. C'est la seule condition pour être membre des AA. Et puis ça, je l'avais. À chaque fois que je buvais, je voulais arrêter de boire.
La participation au meeting a toujours été très encouragée dans le mouvement.
Patrick me raconte que pendant trois mois, au début des années 2000, des membres des AA de sa région sont venus le chercher tous les soirs pour lui faire faire du meeting.
Patrick possède un vieux jeton des AA ayant appartenu à son grand-père. Dès le début des AA, le meeting était plus qu'important, c'était la clé du sevrage, explique-t-il.
Si on revient à l'histoire des AA, les premiers membres, nos fondateurs, ils faisaient un meeting [officiel] par semaine dans leur petit village où ils étaient 10, 12 membres. Sauf que les autres soirs, ils se rassemblaient quand même et, s'il en manquait un, ils allaient partout, ils voulaient le retrouver. Pour être certains qu'il ne rechute pas.
Le mouvement a été fondé en Ohio en 1935. Et il est arrivé au Québec en 1944. C'est Dave qui a lancé le mouvement à Montréal.
http://www.kreizker.net/article-si-vous-passez-par-knowlton-quebec-104280216.html
C'est un membre qui en a arraché beaucoup. Il s'est retrouvé en prison. Sa soeur, qui habitait aux États-Unis et qui aimait beaucoup son frère, avait entendu parler du Gros Livre. Elle a fait venir le Gros Livre et est allée voir son frère en prison pour le lui apporter.
Le Gros Livre, c'est un peu la bible des Alcooliques Anonymes. Il s'agit du texte de base du mouvement qui décrit les 12 étapes vers le sevrage.
À sa sortie de prison, Dave a commencé à organiser des rencontres chez lui. Cinq ans plus tard, le mouvement comptait 400 membres dans 18 clubs à Montréal.
Le premier club à l'extérieur de Montréal a vu le jour en 1949 à Trois-Rivières. En 1950, des clubs ont vu le jour à Québec, Shawinigan, Arvida (aujourd'hui un secteur de Saguenay) et Sept-Îles.
Il existe certes aujourd'hui de nombreuses ressources pour les alcooliques, mais il ne faut pas oublier que ce ne fut pas toujours le cas.
Et pour tant de persévérance, gens des AA, permettez-moi de vous dire merci et de vous souhaiter une très bonne année 2020!