Alcooliques Anonymes : « Je picolais parce que je me détestais »
in "Le Populaire du Centre" (France), 14 avril 2018
« Je suis responsable du premier verre. Pas des autres. Si je ne touche pas au premier verre, les autres ne viennent pas ».
21 heures sonnent à deux pas de l'église des Saints-Anges. Une lumière vient de s'allumer à l'étage d'une modeste maison. Sur une plaque fixée près de la porte d'entrée, aucun numéro. Deux lettres ont remplacé les chiffres : « AA », pour alcooliques anonymes. En haut d'un étroit escalier, autour d'une table garnie de boissons sans alcool, une réunion de la « Main Tendue » est sur le point de débuter. Sans jugement, neuf « amis » malades alcooliques vont se confier sur ce mal qui les ronge et la fragilité de leur convalescence.
« Bonsoir les amis, je m'appelle Philippe (*). Je suis alcoolique. Abstinent pour aujourd'hui… » La soirée a pour thème : « Un jour à la fois ». Précieuse formule pour limiter la sensation de vertige qui peut étreindre celui qui veut lâcher sa « béquille ». Précieuse formule qui rappelle aussi que l'alcoolique abstinent est un sursistaire quotidien.
Dès 15 ans, l'alcool comme « défonce »
Pendant 1 h 30, les mots claquent. Soulagent. Purifient. Philippe, yeux bleus, oreilles percées et blouson noir, reprend la parole. « J'ai grandi dans la violence et l'alcool. Et puis très vite, par identification ou je ne sais quoi, j'ai reproduit exactement la même chose que mon père. » Avec ses 15 ans viennent ses premières « cuites ». « C'était une défonce. Et ça m'a amené loin… » Dans la rue à 16 ans, puis dans l'armée « parce que j'avais rien à bouffer… J'ai été très loin dans la violence : le tribunal, les flics, les urgences, la baston : c'était mon quotidien. Je picolais parce que je me détestais ». Philippe n'était plus maître de sa vie. Mais un jour, le destin lui sourit. Sur une erreur de numéro de téléphone, il rencontre celle qui deviendra sa femme. Elle l'amène aux AA. Echec. Trois ans plus tard, il pose enfin son verre, définitivement en se disant chaque matin « juste pour aujourd'hui ». Peu à peu, il se relève. « Les AA, c'est ma solution parce que c'est jamais gagné », lance-t-il. Autour de la table, sur laquelle trône le « Big book(**) », les yeux sont baissés.
Marie, 42 ans, croix catholique autour du cou, raconte à son tour l'alcoolisme de sa mère, la boisson pendant « six ou sept ans », son delirium tremens et son entrée à Esquirol. « Il fallait vraiment que je reparte de zéro. Toutes mes certitudes et mes opinions s'étaient noyées dans l'alcool… » Sa « chance », c'est sa famille, qui ne lui tournera jamais le dos.
Le mensonge, la honte, la rechute, l'alcool à 90°
Coiffure gominée, chemise impeccable, Paul est à l'écoute. C'est sa première réunion. Lui aussi a connu l'alcool à 90°, le déni, l'envie d'en finir et la violence. Lui aussi a fait assaut d'imagination pour cacher ses bouteilles. Mais il est fatigué. Désormais son couple, ses enfants et sa vie professionnelle « ne tiennent qu'à un fil d'araignée ». « On a besoin d'encouragement, de compréhension, de félicitations », confie-t-il.
« Bienvenu Paul, j'espère que tu vas trouver ici ce que j'ai trouvé », l'encourage Joris. C'est-à-dire « une école de vie », précise Philippe, qui a enfin retrouvé un peu de sérénité. « Quand j'ai rencontré ma femme, je lui ai dit "je reste une semaine", et l'histoire d'amour a duré 28 ans », lâche-t-il. Oui, un jour après l'autre de nombreuses montagnes se gravissent. Depuis 27 ans, il vise son Everest. Sans alcool.
(*)Les prénoms ont été changés.
(**) Le Gros Livre, « big book » décrit le programme d'action des AA pour sortir de l'alcoolisme.
Pratique. Pour contacter les AA de Limoges, composez le 09.69.39.40.20 ou le 06.74.27.07.67. Pour les proches, il existe les Al-Anon et les Alateen : 01.42.81.97.05.