Les Douze Étapes comparées aux exercices spirituels d’Ignace de Loyola
in "Boîte 42b" N° 1 (Ancien Box 38 de AA Belgique), Mai 2020
1 - OÙ CITONS-NOUS LES EXERCICES SPIRITUELS ?
1. A - Le mouvement des AA devient adulte, 1957, ch. 1, traduct. fr. 1983 p. 46 § 3 : Le Père Ed Dowling : “Il fut le premier à établir un parallèle entre nos Douze Etapes et les Exercices de Saint Ignace, une discipline fondamentale dans la spiritualité des Jésuites.” Nouvelle version : p. 38 al. 4.
1. B - ch. 5 début p. 308 § 1 : “Le Père Ed. a contribué à la fondation du premier groupe des AA dans cette ville [Saint-Louis]; il fut le premier ecclésiastique de son Eglise à remarquer l’étrange ressemblance entre les Exercices spirituels de Saint Ignace (le fondateur des Jésuites) et les Douze Étapes des Alcooliques Anonymes.” Nouv. version : p. 261 § 4.
1. C - Le langage du coeur, Articles à la mémoire… Bon voyage, père Ed ! juin 1960 p. 385 § 4, Reprend le texte de Le mouvement devient adulte ci-dessus. Ed Naninne 2018 p. 393 § 3.
1. D - Réflexions de Bill p. 116/2 Une lettre de 1950 : « Par exemple, les théologiens catholiques affirment que les Douze Étapes sont en parfait accord avec les Exercices spirituels de Saint Ignace […] »
1. E- Transmets-le ch. 13 § 43 p. 259-261 : « Le père Dowling […] a dit avoir été fasciné par les ressemblances entre les Douze Étapes des Alcooliques anonymes et les Exercices de Saint Ignace, la discipline de l’ordre des Jésuites. Quand Bill lui/261/a avoué qu’il ne connaissait pas les Exercices de Saint Ignace, le père Dowling a été enchanté et Bill l’a trouvé bien sympathique. » Ed. Bruxelles 1988 p. 225 § 4.
1. F - Notre grande responsabilité (2019) L’historique fin n. 5 ; p. 23 : « Le père Dowling était fasciné par la similitude entre les Douze Etapes du Mouvement des AA et les Exercices spirituels de Saint Ignace, fondateur de la Compagnie de Jésus (l’ordre des jésuites). »
1. G - Année 1953 § 9 phr. 2 ; p. 95 l. 2-7 : « Le temps a passé et, à notre grande surprise, des jésuites sont arrivés et nous ont dit : ‘Hé, mais les principes des Douze Étapes sont exactement les mêmes que nos exercices de Saint Ignace pour la retraite. En plus, elles sont formulées dans le même ordre. »
1. H - Année 1953 note 2 ; p. 99 : « Le père Ed Dowling, à sa première rencontre avec Bill au club de la 24e Rue, en 1940, fit remarquer la similitude entre les Étapes et les Exercices spirituels de Saint Ignace. »
2 - QUE DISENT LES EXERCICES ?
Rappelons qu’ils ont été conçus et rédigés entre 1521 et 1548 et que leur auteur a vécu de 1491 à 1556.
Un résumé scolaire disait ceci : il y a dans cette retraite quatre semaines :
Deformata reformare.
Reformata conformare.
Conformata confirmare.
Confirmata transformare.
1 - Ce qui a été déformé par le péché, à réformer. Méditer sur cet acte de réformer. Inventaire quotidien.
2 - Ce qui a été réformé, à conformer au modèle de la vie du Seigneur.
3 - Ce qui a été ainsi remodelé, à confirmer (par la prière).
4 - Ce qui a été confirmé, laisser la lumière de la Résurrection le transfigurer.
Autrement dit :
1 - Deformata reformare
Les péchés : le sacrement de réconciliation.
2 - Reformata conformare
Au long de ses méditations, le retraitant demande qu’une connaissance intérieure de Jésus lui soit donnée, et qu’il en reçoive une inspiration qui l’aide à orienter sa vie personnelle. Réflexion préliminaire sur le choix à faire (ou sur la confirmation) de son état de vie.
3 - Conformata Confirmare Le retraitant vit avec le Christ le drame de sa passion : de Béthanie à sa mise au tombeau après sa mort en croix. Anéantissement devant le Christ bien-aimé au Golgotha, qui de sa croix même recrée tout homme et tout l’homme.
4 - Confirmata transformare
Jésus-Christ ressuscité est contemplé dans ses apparitions à sa mère et aux apôtres, aux disciples. Transformation des disciples, nouvelle vie.
3 - LES RESSEMBLANCES OBJECTIVES AVEC LES 12 ÉTAPES
3. A - L’itinéraire de l’âme vers Dieu : AA passe de l’alcool à l’éveil spirituel, équivalant à passer du péché à la rédemption ; ou d’une vie matérialiste à la vie spirituelle ; comme dans toute la tradition chrétienne. (Cette similitude n’est donc pas remarquable par une originalité quelconque. Elle indique l’appartenance du programme AA à une spiritualité particulière, la spiritualité chrétienne.)
3. B - Le parrainage : Nécessité d’un « accompagnateur » ou guide (Ignace évite le mot directeur qui ne convient qu’à Dieu), sans lequel les Exercices n’existent pas, action extérieure à celle du retraitant ; action qui correspond au dialogue du membre AA avec quelqu’un d’autre que lui-même - pour les AA ce peut être le parrain et le groupe. C’est le groupe qui m’a introduit dans une vie nouvelle, et qui continue à le faire.
3. C - L’aujourd’hui : insistance sur l’inventaire quotidien comme apprentissage de la nouvelle vie.
3. D - L’individualisation du choix : la Semaine deuxième ressemble aux Étapes 4 et 5 : partir de l’image de moi pour arriver à un idéal du moi, à un projet de vie acceptable ; faire ce choix sur la base de mes caractéristiques personnelles, dans mes limites, un choix que quelqu’un d’autre ne peut faire à ma place. Que faire avec l’abstinence ? Et aussi avant l’abstinence : « On ne peut pas devenir abstinent à ta place. » « Il y a une chose que je suis seul à pouvoir faire, et cette chose, je ne peux la faire seul. »
Cette idée d’une construction du moi par le moi se retrouve dans plusieurs types d’aide psychologique au 20ème s. : insistance sur l’action particulière de chaque aspirant pour se connaître avant de vouloir agir. Non directivité.
4 - UNE RESSEMBLANCE SPIRITUELLE
4. A - LA DEMANDE
A côté de ces ressemblances de méthode, y a-t-il un esprit commun ? Oui : L’acte de demander de l’aide reste le plus important de mon rétablissement.
Saint Ignace répète au retraitant : « Demande ce que tu veux. » Formule conforme à la tradition chrétienne en tout temps. C’est par exemple un corollaire d’une prière d’Augustin : Da quod jubes, jube quod vis : "Donne ce que tu ordonnes, ordonne ce que tu veux. » (Confessions Livre 10) Si je peux demander la grâce, c’est que Dieu peut la donner.
C’est-à-dire : Ce que tu dois vouloir (qui est la connaissance intime de Jésus) tu as à le demander, tu ne peux que le demander. C’est exactement ce qui se passe pour ma croissance personnelle en AA ; l’action de demander est formelle dans les Étapes cinq et onze. Je suis seul à pouvoir le faire et ne peux le faire qu’en demandant.
4. B - L’OBSESSION OU LE MYSTÈRE DE LA GRÂCE DE DIEU CHEZ BILL
De même que parfois nous avons l’impression d’avoir vaincu l’alcool sans aide, de même, le chrétien peut être tenté de croire que, pour pouvoir mériter son salut, ce salut ne doit dépendre que de la volonté propre de l’homme. La vision de la théologie chrétienne (ou spécialement augustinienne), adoptée par Ignace, fait dépendre ma vertu de la grâce divine ; chez AA, ma reconstruction dépend de la « grâce de Dieu » (formule que notre petit livre 12-12 de 200 à 300 pages mentionne 26 fois…). Mon rétablissement, selon cette vision, c’est la grâce de Dieu.
4. C - CHRISTIANISME ET PLURALISME CHEZ AA
Cette comparaison sommaire identifie le programme AA à certains éléments du christianisme. Est-ce pour cette raison que les publications AA n’ont jamais présenté une telle comparaison ? Alors qu’elle s’impose, au vu des affirmations répétées de Bill, qui se délecte à rappeler l’opinion d’Edward Dowling sur notre programme de Douze Etapes. Alors qu’elle est facile à faire, comme le prouve le petit schéma ci-dessus.
En effet, dès 1939, les précautions de langage du livre Les AA permettaient aux membres d’employer le programme à leur mode, sans nécessairement aller dans le sens chrétien : si Dieu est la table des AA, la grâce de Dieu serait cette force impalpable que j’ai reçue à ma première réunion, force qui m’a conduit à ma deuxième réunion… et encore aujourd’hui, à chaque réunion, une même force me fait aller à la réunion suivante.
Ainsi, Bill fait dire au médecin qui a examiné le phénomène AA : « Nous constatons chez les AA la présence d’une force sans cesse agissante, mais que nous ne pouvons comprendre. Nous l’appelons le facteur X. Vous l’appelez Dieu. » (Le mouvement des AA devient adulte, 1957, ch. 1, traduct. fr. 1983 p. 56 l. 2/bas-57 l. 1 ; Nouvelle version : p. 47 § 1.s)
Le résultat est que les interprétations sont libres, que les réunions ne sont pas chrétiennes, mais pluralistes, même si le message avec son programme est marqué par le christianisme. Les réunions forment à leur tour un message, qui est pluraliste.