REPORTAGE. "On se sent vraiment compris" : des réunions pour aider les proches de personnes alcooliques à supporter la situation
France Info, 20 Janvier 2024
"Entre colère, peine et désarroi", les participants confient que vivre avec un proche alcoolique est un enfer. Les réunions, appelées "Al-Anon", leur offrent un réel soulagement.
Sur le modèle des Alcooliques Anonymes (photo d'illustration), les réunions "Al-Anon" aident les proches de malades alcooliques à surmonter leurs difficultés.
Selon l'adage, "une personne qui boit et c'est toute la famille qui trinque". En France, des millions de Français vivent avec ou ont un proche alcoolique. Alors pour les aider à surmonter leurs difficultés, il existe des réunions qui leur sont réservées et leur permettent de se livrer, de s'entraider. Nous avons pu assister à l'une de ces réunions.
Entre culpabilité, épuisement, colère et tristesse, les participants confient que vivre avec un conjoint, un enfant ou un parent alcoolique, est un enfer au quotidien. "Je suis maman d'un jeune alcoolique de 23 ans, explique une femme dont l'anonymat, comme tous les intervenants dans ce reportage, est respecté. Quand on est proche de quelqu'un de malade comme ça, on se met inconsciemment dans la survie inconsciemment et au fil du temps on en est là." Elle se pose beaucoup de questions : "On se met dans l'obsession. Est-ce qu'il a bu ? Il va reboire, il va rechuter... Qu'est-ce qui va se passer ? Il n'est pas rentré, est-ce qu'il ne lui est pas arrivé un accident ?"
"On vit la peur au ventre. On vit dans la survie."
La mère d'un jeune homme alcooliqueà franceinfo
"Moi, c'est mon conjoint qui est alcoolique, confie une autre femme. Je pensais que ma vie était finie parce que je tournais en rond à compter le nombre de bouteilles, à essayer d'empêcher de boire quelqu'un qui ne voulait pas arrêter de boire. Tout était devenu incontrôlable. J'étais isolée parce qu'on n'en parle pas, on n'en est pas fiers. Et puis on veut protéger celui qu'on aime."
Ces femmes participent tous les lundis, sur l'heure du déjeuner à Paris, à une réunion des Al-Anon : "Al" comme alcooliques, "Anon" comme anonymes, où vient qui veut. Ce jour-là, une douzaine d'hommes et femmes de tous âges sont assis en cercle sur des chaises. "Les groupes familiaux Al-Anon forment une fraternité de parents et d'amis d'alcooliques. Al-Anon n'a qu'un but : aider les familles des alcooliques", dit celle qui anime le groupe de parole.
Ces réunions étant anonymes et confidentielles, ce qui s'y dit ne peut pas être révélé. Pendant une heure et demie, comme les réunions d'alcooliques anonymes dans les films américains, chacun prend la parole quand il veut pour vider son sac.
Des larmes et des rires
À cette réunion Al-Anon de rentrée, il a été beaucoup question des fêtes de fin d'année, un moment familial difficile car alcoolisé. Marie* attendait cette nouvelle réunion avec impatience : "On n'a que trois minutes chacun pour parler, mais dans mon cas, c'est le moment. Ce sont les trois minutes les plus intenses que j'ai pendant des mois, confesse-t-elle. Parce que je ne parle à personne d'autre, à part peut-être un peu à mes sœurs et à ma famille, de la situation de mon père malade alcoolique."
"C'est un moment exceptionnel où pendant trois minutes, on peut exprimer les événements qu'on a vécus ces derniers temps. Les gens qui sont autour de cette table, ils peuvent nous comprendre, ils vivent les mêmes choses. Donc c'est vraiment un moment très, très privilégié."
Marie, fille d'un homme alcooliqueà franceinfo
À ces réunions de proches d'alcooliques, il y a des larmes lors des prises de parole. Une boîte de mouchoirs est même à disposition. On y parle parfois de violences intrafamiliales liées à l'alcool, mais il y a aussi des éclats de rire, reconnaît Jeanne* à l'issue de la réunion. "Ceux qui viennent pour la première fois nous disent parfois : 'C'est marrant, vous avez rigolé sur des trucs qui ne sont pas drôles du tout'. Et c'est vrai qu'il y a un peu un 'running gag' de parler des alcooliques de nos vies, qui sont tous devant leur télé toute la journée avec leurs bouteilles d'alcool. C'est devenu un truc drôle alors qu'en fait ce n’est pas drôle du tout. C'est assez dramatique, mais comme on a vraiment ça en commun et qu'on voit très bien de quoi on parle, ça devient un peu drôle", admet-elle.
Écoute et empathie
Lors de ces réunions Al-Anon, personne ne porte de jugement sur l'autre, c'est le principe, ni ne donne de conseil. Tout le monde est là pour s'écouter. "On se sent vraiment compris, plus que quand on en parle avec des amis. Ils ont beau être au courant de la situation et qui ont beau faire preuve d'empathie, ils ne savent pas ce que c'est vraiment d'être dans des relations compliquées", souligne une participante.
"Tout est fait vraiment avec le même objectif de juste partager et progresser ensemble par rapport à ce démon qui est l'alcool."
une participante à une réunion Al-Anonà franceinfo
"On arrive avec des a priori, des expériences sur la maladie alcoolique, explique une autre participante. Et on nous apprend à réagir autrement, à faire preuve de patience, à laisser vivre, à ne pas forcément intervenir, à ne pas penser qu'on peut sauver la personne malade alcoolique. Et ça, ce sont des choses qu'on ne peut pas vraiment apprendre tout seul. Il faudrait des années d'expérience pour s'en rendre compte. En vivant ces réunions, on apprend des expériences des autres et aussi à se sauver soi-même. Parce que parfois, en voulant sauver la personne malade alcoolique, on tombe avec elle."
"Si je peux vous répondre aujourd'hui, c'est parce que j'ai rejoint Al-Anon il y a quatre ans, approuve une autre femme. Je pensais sincèrement que ma vie était terminée. Entre la colère, la peine, le désarroi, Je ne savais pas quoi faire", confie-t-elle.
Près de 150 groupes de réunions Al-Anon existent partout en France.
*Le prénom a été changé.