Trouville-sur-Mer : aux Alcooliques Anonymes, « c'est le seul endroit où on peut parler d'alcool »

Publié le par kreizker

in "Le Pays d'Auge" (France), 3 Mai 2024

Chaque mardi soir, des habitants de la Côte fleurie se retrouvent au groupe d'entraide des Alcooliques Anonymes à Trouville-sur-Mer. Reportage au cœur d'une des réunions. 

Le groupe d’entraide des Alcooliques Anonymes se réunit chaque mardi soir, à Trouville.

Le groupe d’entraide des Alcooliques Anonymes se réunit chaque mardi soir, à Trouville.

« Aux Alcooliques anonymes, j’ai trouvé ma deuxième famille, même le soir de mes 50 ans, j’étais là, pas chez moi ». Ce mardi soir, Jérôme* a ressenti le besoin de revoir sa seconde famille. Celle qu’il n’avait pas vue depuis longtemps, où il peut parler d’alcool, sans peur d’être jugé ou regardé de travers

Comme chaque semaine, le groupe d’entraide des Alcooliques Anonymes (AA) se réunit dans une salle, sous le casino de Trouville-sur-Mer (Calvados).

Autour de tables où sont disposés quelques livres des AA et des gobelets remplis de café, ils sont cinq ce soir-là. Des hommes, des femmes, plus ou moins jeunes, aux parcours de vie ou de milieux sociaux parfois très différents, qui ont tous en commun ce besoin d’entraide pour chasser l’alcool, ce compagnon de route « puissant, déroutant, sournois ».

Parfois, ils sont beaucoup plus à venir témoigner, partager, échanger, sur cette maladie qu’ils cherchent tous à vaincre. « Ici, on crée du lien, insiste Virginie, animatrice des séances. Ça nous arrive de nous retrouver à l’extérieur, pour manger ensemble par exemple, mais c’est aux réunions que tout se passe vraiment ».

« L’alcool était devenu une arme »

Comme chaque mardi, chacun prend la parole à tour de rôle pour se confier, raconter ses dernières journées ou remonter parfois le temps plus loin, avec une grande liberté. « Ce week-end, on a fêté les 18 ans de ma fille, il y avait de l’alcool, et j’ai bu, raconte Jérôme, avec amertume. Ça s’est bien passé, mais au fond de moi j’avais un regret, celui de ne pas avoir réussi à offrir comme cadeau à ma fille de ne pas boire ».

De l’autre côté de la salle, Manon évoque, elle, la réaction passée de son fils, pleurant de la voir « dans cet état-là ». Virginie se souvient du « déclic », de ce jour où elle a pris conscience de son problème :

À cette époque, je n’avais pas un rouge à lèvres dans mon sac à main, mais une bouteille. L’alcool était devenu une arme que je retournais contre moi.

Des témoignages qui racontent un alcool festif, professionnel ou familial, qui finit par grignoter chaque plan de la vie. Un alcool qui, parfois aussi, colonise l’inconscient et le sommeil, se glissant au cœur des rêves et cauchemars. « Pour moi c’est comme une cuite sèche, on se réveille avec une gueule de bois, sans avoir bu », témoigne Patrick. 

Le groupe d’entraide des Alcooliques Anonymes se réunit chaque mardi soir, à Trouville.

Le groupe d’entraide des Alcooliques Anonymes se réunit chaque mardi soir, à Trouville.

Autour de la table, on parle de ses rechutes, de ses tentations et de ses maladresses, mais aussi de ses abstinences, de ses petites victoires et de ses fiertés.

Je buvais pour faire mon ménage, pour élever ma fille, pour dire que j’étais une fille fun. Aujourd’hui, je suis toute cette personne, mais sans l’alcool.

Virginie

Manon témoigne : « J’ai retrouvé ma joie de vivre. Tous les jours je fais des projets, je m’intéresse à un tas de choses que j’avais laissé tomber comme la lecture ».

Après un an d’abstinence, Pascale confie : « J’ai tellement eu de très grandes souffrances à cause de l’alcool, j’ai mis des années à le battre. Mais même aujourd’hui je ne veux pas me dire : je ne boirai plus jamais. C’est tellement plus facile de dire que je ne boirai pas aujourd’hui ».

Pousser la porte

« Il y a encore deux heures, je n’aurais pas imaginé être là ce soir ». Si ça n’est pas sa première aux Alcooliques anonymes, Jérôme ne vient pas régulièrement. Ce soir-là, non abstinent, il en avait besoin. Et comme les autres, il le sait : pousser la porte des AA est déjà un grand pas, souvent très difficile à accomplir.

Il y a une chose extraordinaire chez l’alcoolique, c’est le déni. Avant de reconnaître qu’on boit, c’est très dur. On voit tous les autres, mais pas nous.

Patrick

Certains passent la porte des AA, parfois d’eux-mêmes, « après avoir tout essayé, et échoué en cure », comme raconte une participante. Pour d’autres, on vient les chercher, sur leur lit d’hôpital. D’autres encore ont reçu un message d’un alcoolique anonyme qui leur a tendu la main. 

Le groupe d’entraide des Alcooliques Anonymes se réunit chaque mardi soir, à Trouville.

Le groupe d’entraide des Alcooliques Anonymes se réunit chaque mardi soir, à Trouville.

« Quand je suis arrivé, ça a été une découverte assez extraordinaire parce que je m’attendais à voir des personnes défoncées partout, reconnaît Patrick. J’étais plein d’a priori. Mais pas du tout, il y avait de tout, même des vedettes ». Pour lui, ce groupe d’entraide des Alcooliques anonymes est devenu comme une « seconde vie » à laquelle il ne s’attendait pas :

Avant cela, je me rendais bien compte que je touchais le fond, mais je ne pouvais pas m’arrêter de descendre toujours plus bas, et pourtant j’en avais marre. C’est en arrivant ici que j’ai trouvé une solution et que j’ai commencé à revivre. 

Patrick

Si venir aux réunions des AA n’est jamais simple, chaque mardi, ils vivent ce pas comme une victoire. « Quand je suis arrivé, je me suis demandé comment les autres avaient réussi à arrêter de boire, pour un alcoolique comme moi c’était impossible, reconnaît l’élégant quinquagénaire. On m’a d’abord proposé d’arrêter pour 24 heures. J’ai réussi, ensuite j’ai déclenché un deuxième test de 24 heures. Aujourd’hui, je vis l’instant présent, en avançant jour après jour ».

L’alcoolisme, « un mal à dire »

« Le danger ce n’est plus vraiment moi, ce sont les autres », reconnaît Patrick, évoquant ces soirées où il est obligé de garder son verre bien en main, rempli de boissons non alcoolisées, pour éviter qu’on y verse de l’alcool. Comme lui, beaucoup témoignent d’un alcool présent partout. Dans les séries, en soirée avec les amis, sur les tables des repas de famille, dans le cercle le plus intime. 

Trouville-sur-Mer : aux Alcooliques Anonymes, « c'est le seul endroit où on peut parler d'alcool »

D’ailleurs, autour de la table, certains reconnaissent qu’il est difficile d’en parler à ses proches. « Un ami m’a dit : l’alcoolisme est une maladie, mais c’est avant tout un mal à dire », évoque Jérôme.

Une difficulté à parler qui se volatilise, une fois la porte des AA franchie. « C’est en étant entre nous qu’on arrive à dire certaines choses », poursuit Jérôme, qui évoque la « sérénité » qu’il trouve ici :

On n’est pas là pour juger. Quand quelqu’un témoigne, 9 fois sur 10 je peux m’assimiler à lui.

Jérôme

Un constat qu’ils partagent tous, mentionnant cette écoute totale, où personne ne se coupe la parole.

C’est merveilleux car on n’est plus jamais seuls. Ici, il y a des échanges puissants et forts, les gens arrivent à mettre leur cœur à nu. C’est fantastique de pouvoir partager ses histoires. Et c’est le seul endroit où on peut parler d’alcool.

Patrick

De « belles paroles » qui font du bien, encouragent. « Il y a toujours des histoires d’alcool autour de moi, mais le fait de vous parler ça va mieux, c’est ça qui est merveilleux », sourit Pascale.

« On essaye de guérir ensemble »

Parler pour aller mieux, mais pas seulement. En ce mardi soir, les participants de la réunion ont choisi d’aborder la 12e étape du livre Les Alcooliques Anonymes. Celle de la transmission du message à d’autres alcooliques arrivant après avoir connu un « réveil spirituel ».

Une source de force qu’ils trouvent à l’extérieur d’eux-mêmes, qui varie d’une personne à l’autre, et qui aide à rester abstinent, et à passer le message à d’autres.

Transmettre, c’est ma force et ça peut donner de la force à quelqu’un d’autre. Transmettre, c’est être dans son rétablissement. Mon plaisir de m’affirmer au bar, de dire que je prendrai un Perrier ou une limonade, ça m’épanouit, donc je le raconte.

Virginie

Une parole qui panse les plaies de l’âme, et permet d’avancer pas à pas, au contact des autres. Apaisé d’être venu ce soir-là, Jérôme sourit : « C’est ça qui est exceptionnel : aux réunions, on ne se connaît pas, mais entre malades on s’écoute, on se comprend, on avance et on essaye de guérir ensemble ». 

*Par souci d’anonymat, les prénoms ont été changés. 

 

Le mardi, de 19 h 30 à 20 h 45, salle de la Plage, Boulevard de la Cahotte. Contact : 09 69 39 40 20, aatrouville@gmail.com, alcooliques-anonymes.fr.

Publié dans AA france

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