Dana, présidente des Alcooliques Anonymes de Béthune et sobre depuis 27 ans : « Je me dis : t’es toujours alcoolique, ma poule »

Publié le par kreizker

in "Nord Littoral", "Le Journal des Flandres", "L'écho de la Lys", "L'Avenir de l'Artois" (France), 12 Octobre 2022

 

Dana a 27 ans d’abstinence au compteur. Depuis 22 ans, elle préside le groupe de parole des Alcooliques Anonymes, « ce programme simple pour les gens tordus ». Pour l’Avenir, elle raconte son parcours

Dana préside l’association des AA de Béthune. Elle a arrêté de boire il y a maintenant 27 ans.

Dana préside l’association des AA de Béthune. Elle a arrêté de boire il y a maintenant 27 ans.

Ses cheveux sont rouges, son sourire est large, sa peau, marquée. C’est à peu près tout ce qu’il est possible de décrire chez Dana*. La dame de 76 ans est une Alcoolique Anonyme. Une « AA », comme on dit, ou « une amie ». Alors conformément à la philosophie de l’association, sa silhouette doit être préservée. Depuis 22 ans, tous les jeudis soirs à 19h30, elle ouvre la permanence de la Charité rue Fernand-Bar où se tiennent les groupes de parole. Les abstinents, non-abstinents, celles et ceux qui veulent sauter le pas face à la dépendance connaissent bien son visage. Mais pas son identité. À cœur ouvert et à raison gardée, Dana livre son témoignage face à la boisson. De la chute aux pulsions, de ses 27 ans d’abstinence et surtout, de son abnégation pour épauler les autres comme elles, les alcooliques à vie.

 

Comment êtes-vous tombée dans l’alcool ?

« Dans ma famille, personne n’était alcoolique à part moi. Déjà, dès le départ, j’étais une rebelle. Je ne trouvais pas ça juste d’être une fille. On était limité, on n’avait le droit de ne rien faire. Adolescente, je faisais beaucoup de sport. J’ai fait des études d’éducation physique. On avait institué un jeu idiot. On avait une bouteille de vin pour quatre le dimanche et une seule la buvait entièrement. Je n’aimais pas le vin mais j’attendais mon tour, la bouteille me foutait dans un coma ! (rires). Le temps est passé, j’ai fini mes études. J’ai commencé à bosser à 18 ans, je me suis mariée à 20 ans et j’ai eu trois enfants en cinq ans. Je buvais qu’au moment des fêtes comme les gens « normaux ». Je ne buvais pas d’alcool dit « fort ». Mais je savais très bien qu’il y avait un souci. Je pouvais boire comme les mecs. Comme j’ai eu les petits très tôt, ils sont partis faire leur vie. Je me suis retrouvée toute seule à Toulon, dans cette grande ville. On a fait mai 68 mon mari et moi et la mode était de faire le bilan de la vie conjugale. Le nôtre s’est avéré négatif. Pas qu’on ne s’entendait pas, mais je voulais vivre ma vie à moi. La vie de couple est compliquée. Je voulais me réaliser en temps que femme. J’avais 45 ans. Et c’est passé par l’alcool. »

 

Quel a été le point de non-retour ?

« Quand je revenais du boulot, je faisais un détour par les bars. Pas tous les jours car c’était cycliqueJe voulais faire la fête, je ne buvais jamais toute seule. J’ai donc rattrapé le temps perdu. J’ai vécu pleinement, il n’y avait plus qu’un truc qui me paraissait intéressant, c’était mon travail – j’étais professeur d’éducation physique. J’avais gardé quand même un contrôle contrairement à certains amis qui perdent complètement la maîtrise. Toujours une question d’orgueil, je voulais garder mon intégrité physique. On se dégrade vite quand on picole. Je vivais enfin la vie que j’enviais aux garçons : je rentrais à 4h du matin, en pleine conscience de ce que j’avais fait. Mais, quand même, je me regardais dans la glace en me disant «pauvre alcoolique ». Je faisais nuit blanche et prenais une, deux, trois douches et je partais au boulot. Je me disais «allez, aujourd’hui, j’arrête de boire pour trois semaines». Je le faisais. Je mettais tout en place pour récupérer. J’ai continué une semaine de plus et après ça repartait. Ça a duré un an et demi puis un jour, je recevais mes trois enfants, à Noël 1994. J’ai débouché une bouteille de champagne – je n’aimais pas le champagne. Eux ont trempé leurs lèvres et moi j’ai bu les trois quarts. Je me suis relevée un peu brutalement. Et là, ma fille a éclaté en sanglot. Elle a eu des paroles magiques. Elle m’a dit «Maman, on t’aime. On ne peut rien faire pour toi, tu dois te faire aider, si tu veux. Je te donne le numéro des Alcooliques Anonymes.» J’ai appelé le numéro. »

Que retenez-vous de vos premiers pas aux AA ?

« J’ai été scotchée par le témoignage de la personne que j’ai eu au téléphone. Deux jours plus tard, je participais à une réunion. Quand une nouvelle personne arrive, c’est elle la priorité, c’est un peu du cocooning. La parole libère énormément. Je suis repartie, j’avais des dizaines de numéro de téléphone. Le plus important, c’est la confiance que les gens t’accordent même si tu ne le mérites pas. Et le soutien. J’ai reçu pas mal d’outils pour vaincre l’envie de boire. Car quand vous arrêtez, les pulsions arrivent très vite et il faut les occuper. Moi, je ne dors pas beaucoup. En journée je peux m’occuper mais une fois arrivée la nuit… J’ai acheté des cassettes, j’en avais 300. J’ai suivi plusieurs conseils et suivi mon programme. Par exemple, une amie disait : «quand au réveil je ne vais pas bien, je me débarbouille rapidement, je prends une douche, je me fais belle. Puis je sors en ville me faire un cadeau.» C’est encore quelque chose que je fais aujourd’hui. »
 

Avez-vous déjà rechuté ?

« Non, je m’en voudrais énormément de replonger. Mais une fois, le patron d’un bar que je connaissais bien, m’a servi un demi de bière. Il y a eu un silence dans la salle. Je suis devenue bleue. J’ai fait le geste pour apporter le verre à ma bouche. Et finalement, je n’ai pas bu. J’ai évité les endroits où je pouvais boire. Maintenant, quand je ne suis pas bien dans un lieu, je m’en vais. Il ne faut pas se mettre en danger. C’est très difficile, la société ne fait rien pour aider. L’alcool est une drogue dure légale, vous en trouvez partout. On fait tout pour que vous picoliez. D’ailleurs, vous n’avez pas le droit à un joli verre quand vous buvez du jus de fruit, vous avez droit au verre à moutarde. Aujourd’hui, quand je vois la façon dont je bois ma bouteille d’eau gazeuse, comme une bouteille de bière, c’est-à-dire avec satiété, je me dis en moi-même : t’es toujours alcoolique, ma poule. »

 

Comment aidez-vous les AA dans les réunions ?

« Je n’anime pas les réunions car aux AA, il n’y a pas de hiérarchie. Toutes les personnes sont égales. Nous sommes tous là pour donner des outils. Je ne suis pas psy, ni médecin mais je dis ce qu’il faut faire pour y arriver. Attention, il faut travailler. Je dis souvent que le boulot va commencer. Un des outils est justement de ne pas s’apitoyer sur son sort. Une maladie peut se soigner par des médicaments. Pour l’alcool, il suffit de ne pas prendre de verre. Si on peut le faire ne serait-ce qu’un jour, cela paraît plus abordable. Un jour à la fois, jusqu’au jour suivant. »

* Dana est un prénom d’emprunt.

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