in "La République du Centre" (France), 30 Janvier 2025
La maladie, ils la combattent ensemble. Ces patients loirétains fréquentent l’antenne locale des "AA". Son groupe de parole hebdomadaire permet de déposer ses joies et ses doutes, à travers des mots souvent forts, et d’y trouver un soutien et un encouragement salvateurs.
Aux Alcooliques Anonymes d'Orléans, la réunion est hebdomadaire et beaucoup de malades y assistent chaque semaine
"Fabrice, malade alcoolique. Je vais bien, car je suis abstinent depuis 44 semaines. J’ai passé mon premier Noël sans alcool et mon premier séminaire, qui s’est très bien passé." Le Dry January, pour eux, c’est toute l’année. Pour ces alcooliques, c’est un combat de chaque jour. Et pour le gagner, ils s’appuient les uns sur les autres. Ensemble, chaque semaine, ils partagent leurs expériences, leurs doutes, leurs émotions et leurs victoires.
Assis en cercle
La République du Centre a assisté à une réunion ouverte des "AA", lundi soir, à Orléans. Le double A d’"Alcooliques Anonymes". Le A de "ami" aussi puisque c’est ainsi qu’ils s’appellent entre eux. Ici, chacun se tutoie et s’appelle par son prénom. Nous avons modifié les leurs car l’anonymat est le maître mot de ces groupes de parole qui ont vu le jour en 1935, aux États-Unis. Dans le Loiret, ils sont présents depuis au moins trente ans.
Assis en cercle dans le hall d’entrée du nouveau centre d’addictologie de Daumezon (336, rue du Faubourg-Bannier), les huit participants, deux femmes et six hommes, prennent la parole à tour de rôle. Les réunions d’une heure et demie sont très codifiées et se déroulent de la même façon, partout dans le monde.
Danièle se propose de modérer. Elle rappelle quelques règles, accueille un nouvel ami le cas échéant, et distribue la parole en commençant par sa gauche. "Bonjour Étienne. Comment vas-tu ?" "Étienne, malade alcoolique. Je vais bien, car je n’ai pas consommé. J’ai tous les effets positifs de l’arrêt de l’alcool. Pour le reste, c’est la routine." "Merci Etienne", clame le groupe.
"Je voudrais de la paix"
Vient le tour d’Augustin, beaucoup plus bavard et gouailleur : il évoque sa recherche d’emploi ("Je suis just-just en février, faut vraiment que je trouve du boulot"), ses problèmes de sommeil ("Je dors trois heures max. Je galère pour faire une nuit complète, je sais pas d’où ça vient"), ses relations compliquées avec son ex ("Je laisse pisser. L’important, c’est que je ne touche plus à la bouteille"), sa perte de poids ("J’ai maigri. J’ai mon summer body pour l’été ! C’est sûrement à cause de la marche : j’ai fait 15, 12, 6 et 18 km cette semaine"), liste-t-il en regardant les notes écrites dans un cahier. "Merci Augustin."
Fabrice se réjouit "d’avoir la patate niveau physique" et de ne "plus être embêté par les cauchemars". Lisa, arrivée depuis peu, semble plus timide et parle d’une toute petite voix.
"C'est un combat quotidien"
David partage ses "montagnes russes d’émotions. Je commence à comprendre que je n’arrive pas à résoudre ce problème d’alcool et ça me déprime un peu. Je trouve les journées très répétitives et c’est un combat quotidien. Je suis colonisé par cette idée, bien que je ne consomme pas depuis trois mois. Je trouve des astuces : je fais du yoga, ce qui me relaxe, ou je vais au cinéma. Je fais des choses qui me font du bien. Je voudrais de la paix et ne pas penser au fait que je suis alcoolique. J’aime bien vous voir, car vous êtes plus optimistes que moi."
Ce trentenaire n’a "jamais été un gros consommateur. J’étais seulement dans des situations festives, mais il ne faut pas grand-chose. On peut tomber très facilement dans l’addiction", lâche-t-il.
Les témoignages s’enchaînent, tous poignants, sans filtre. Les vieux démons guettent, ils ont la peau dure. On ne se débarrasse pas seul d’une telle addiction. Jacques, un carnet en main, retrace le fil de sa semaine. "Je ne bois pas quand je suis seul et c’est très bon. Mais mercredi, mon petit diable m’a dit : “Avant qu’elle rentre…” C’est facile de dire non, mais ça m’ennuie que ça revienne. Il faut que je gagne cette victoire de tous les jours."
Jacques lit le journal qu'il tient chaque jour pour faire le résumé de sa semaine.
"Je suis étonné de n’avoir aucune envie"
Pascal est, avec Danièle, un des plus anciens membres du groupe, abstinent depuis douze ans : "Je suis encore étonné de n’avoir aucune envie. Quand je repense à ces années où je consommais vraiment beaucoup… Cette semaine, je suis allé à deux anniversaires, il y avait du monde et beaucoup d’alcool et ça m’a fait zéro effet. J’ai appris à dire non socialement. C’est une posture : je dis “Je ne consomme pas d’alcool” et ça glisse tout seul. On n’a pas à se justifier. Je suis content qu’on avance sur ces sujets-là, que les médias en parlent. L’alcoolisme est une maladie, il ne faut pas que ce soit tabou."
Danièle conclut le tour de parole. "Je n’ai pas eu envie de consommer, je n’ai pas été tentée, mais la semaine a été très bizarre." Et elle raconte des chamailleries, familiales et conjugales.
L’heure de la pause-café et bonbons a sonné. Chacun se sert sur la table basse centrale. Les courses sont faites à tour de rôle. Chaque ami étant responsable d’un "service" (trésorier, responsable littérature, parrain/marraine, approvisionnements, relations publiques…).
Pause-café au milieu de la réunion. Qui est aussi un temps convivial.
"On se remet à profiter de la vie"
Nous en profitons pour poser quelques questions et les réponses fusent, mélange touchant de pudeur et de sincérité. Notamment sur le rôle positif des "AA" dans leur vie et leur défi quotidien d’abstinence. "J’ai replongé en 2018 et j’ai bu deux fois plus. C’est exponentiel. Je suis revenu en 2024", confie Augustin. "Venir aux AA, ça motive pour 24 heures. On est tous malades. Ce que l’un raconte, on le vit tous ou on l’a tous vécu. Il n’y a pas de jugement", apprécie Jacques. "Ça permet de penser en semaines, c’est une fierté!", renchérit Fabrice. Lisa a compris, grâce à ses amis, que "je n’étais pas quelqu’un de vicieux. J’ai réalisé que c’est une maladie".
"Profiter de la vie"
Sans l’alcool, "on se remet à apprécier des choses, à profiter de la vie. C’est important", estime Danièle. "On se raccroche aux bienfaits de la non-consommation. Moi, je passais à côté de plein de choses, notamment avec ma fille. Je n’ai pas été à jeun pendant quatre ans", regrette Augustin. "D’un ou deux verres par soir, je suis passé à un litre de whisky par soir. En 7 ou 8 ans", explique Étienne.
Tous partagent les mêmes stratégies pour "changer de supermarché pour nos achats, planquer les bouteilles et aussi les éliminer discrètement". "C’est toute une logistique et c’est hyper chronophage, en plus de coûter une fortune et de nous bousiller la santé", reconnaissent-ils tous.
La séance se remet sur ses rails. Un texte qui décrit les "AA" est lu, puis la première des douze traditions (il y a aussi douze promesses et douze étapes). "Il y a une dimension spirituelle, mais pas religieuse", souligne Pascal. Puis un chapeau (à paillettes, en l’espèce !) passe pour contribuer aux frais. Puis chacun reprend sa route. Jusqu’au lundi suivant, s’il souhaite revenir. Histoire, qui sait, de partager la joie d’une nouvelle semaine libéré de l’alcool.
J’y vais.
Les réunions des "AA" sont ouvertes à toute personne ayant le désir sincère d’arrêter l’alcool. Pas d’adhésion, ni d’engagement. Infos et contacts : 09.69.39.40.20 et 09.84.53.84.53 (groupe Orléans nord) et 07.67.55.43.47 (groupe sud).
Des réunions des AA se tiennent les lundis et vendredis, respectivement au nord et au sud d'Orléans.
Les autres associations
Vous cherchez du soutien ou un groupe de parole, que vous soyez malade ou aidant?? Voici des associations présentes dans le Loiret qui proposent cet accompagnement.
Al-Anon/Alateen. Pour les familles et proches de personnes alcooliques. Réunions hebdomadaires place du Cheval-Rouge. www.al-anon-alateen.fr
Alisa. Ce qui signifie Abstinents, Libres, Indépendants Sans Alcool. Groupe de parole hebdomadaire à Sully-sur-Loire, pour les personnes alcooliques. www.alisa-asso.org
Vie Libre. Groupes de parole le vendredi soir dans différentes villes de l’agglo d’Orléans et permanences à Orléans. www.vielibre.org.
Non aux Addictions. Association d’aide aux personnes ayant une ou plusieurs addictions. Groupes de parole dans plusieurs villes de l’agglo et à Pithiviers. Facebook : @nonauxaddictions
Association Addictions France. Consultations, accompagnement et groupes de parole pour des personnes souffrant de diverses addictions. Place Jean-Monnet, à Orléans. addictions-france.org
Apleat-Acep. Accueil, soutien, accompagnement des personnes souffrant d’addictions par la mission addiction du Pithiverais, à Pithiviers. www.apleat-acep.com
ANPAA 45. Consultations, accompagnement de personnes confrontées à des addictions, à l’hôpital de Pithiviers. www.anpaa.asso.fr