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"Quand les femmes trinquent"

Publié le par kreizker

in "Alter Échos" n° 521 (Belgique), 3 Février 2025

"Quand les femmes trinquent"

L’alcoolodépendance féminine a longtemps été un problème impensé. Elle demeure aujourd’hui entourée par des jugements sociaux et moraux. Mais peu à peu, les murs du silence se fissurent et révèlent les enjeux spécifiques de la consommation et de la dépendance à l’alcool chez les femmes.

«J’ai bu beaucoup pendant près de 15 ans. J’ai commencé jeune, à l’université, avec les copains, pour faire la fête. Puis à 30 ans, je ne pouvais plus m’en passer. Quand j’en ai pris conscience, j’ai eu honte et suis tombée en dépression. J’ai essayé d’arrêter, j’ai ramé et j’ai cru que j’allais mourir.» À 32 ans, Françoise* a poussé la porte des Alcooliques Anonymes d’une commune bruxelloise. C’est avec ses «amis» qu’elle fête ce jeudi de décembre son anniversaire de 35 ans d’abstinence, des années durant lesquelles elle a appris petit à petit «à s’amuser à nouveau».

Parmi les huit femmes sur les 14 personnes autour de la table, il y a aussi Marie*, abstinente depuis plus de 20 ans. «J’ai commencé à boire après ma séparation, autour de mes 40 ans, raconte-t-elle. C’est parti d’un petit plaisir pour mettre un peu de lumière dans ma vie seule avec mes enfants. C’est devenu un besoin après chaque problème. Je buvais pour soigner le trop-plein, la dépression, jusqu’à ce que mon fils me mette face à mon problème.» Tour à tour, s’ils le veulent, femmes et hommes racontent leur parcours, leur journée, égrènent leurs achoppements et leurs victoires, les difficultés éprouvées et les plaisirs retrouvés.

Menton enfoncé dans son écharpe, la benjamine du groupe, trentenaire, assiste à sa première réunion. Elle explique boire seule depuis sa rupture il y a trois ans. «J’ai perdu mes amis… Je n’ai plus envie de boire. Je ne sais pas comment je vais faire.» Pour elle, «dire le mot alcoolique est encore trop difficile». «Tu as fait le plus dur», s’empresse de lui dire sa voisine, qui la félicite d’avoir eu le courage de franchir la porte. «Chez les AA, on vit 24 heures à la fois et demain n’existe pas», répète aussi la modératrice.

Honte et dissimulation

Des femmes qui boivent, on en connaît, voire on en est. On en voit, souvent, et partout. Dans la rue, dans les bars, au repas du personnel, au marché de Noël, au cinéma, à la table de famille…

Mais comment la société regarde-t-elle et se préoccupe-t-elle de celles qui boivent beaucoup, celles qui boivent trop, celles qui ne peuvent plus s’en passer?

«Dans le passé, l’homme ‘pouvait boire’, la femme devait ‘tenir la maison’. C’était impensable de penser qu’une femme buvait, au risque de faire vaciller ce modèle. Le regard social a bien sûr évolué, mais on associe toujours plus les femmes à la modération et on juge les femmes qui boivent plus sévèrement. De ce fait, l’alcoolodépendance féminine est plus cachée, explique Thomas Orban, médecin généraliste et addictologue. Cela s’inscrit aussi dans le langage; on dit d’un homme qu’il est pété, on dira d’une femme qu’elle est pompette.»

«Dans le passé, l’homme ‘pouvait boire’, la femme devait ‘tenir la maison’. C’était impensable de penser qu’une femme buvait, au risque de faire vaciller ce modèle. Le regard social a bien sûr évolué mais on associe toujours plus les femmes à la modération et on juge les femmes qui boivent plus sévèrement. De ce fait, l’alcoolodépendance féminine est plus cachée.»

Thomas Orban, médecin généraliste et addictologue

«On attend des femmes qu’elles soient irréprochables et encore plus des mères. De nombreux jugements moraux et sociaux entourent l’alcoolodépendance féminine, analyse Justine Drossart, psychologue et alcoologue. Cela génère de la culpabilité et de la honte chez les femmes, qui mettent du temps à demander de l’aide.» Constatant une augmentation des femmes dans leurs consultations, elles ont, avec Maïté Rogie, psychologue et alcoologue, lancé en 2021 au sein du Centre régional psychiatrique Les Marronniers à Tournai le programme «Femmes et alcool». Inédit sur le territoire belge, il rassemble au maximum huit femmes sur une base volontaire pour 10 séances d’ateliers en groupe articulés autour de volets psycho-éducatifs, émotionnels et psychocorporels.

Moins nombreuses

Si l’on regarde les chiffres, les femmes boivent moins que les hommes. «Les hommes sont plus enclins que les femmes à présenter un profil à risque, que ce soit au niveau de la consommation quotidienne (13,5% H > 6% F), de l’hyper-alcoolisation (au moins six boissons en une seule fois, NDLR) hebdomadaire (11,5% H > 4% F), du binge drinking hebdomadaire (6% H > 3% F) et de la consommation problématique de l’alcool (9,5% H > 5% F)», rapporte Sciensano dans son Enquête de santé de 2018.

Les repères de consommation à risque sont fixés par le Conseil supérieur de la santé à 10 verres standards au maximum par semaine, deux par jour et au moins deux jours sans alcool par semaine. Le CSS recommande aussi aux jeunes de moins de 18 ans ainsi qu’aux «femmes enceintes, celles qui souhaitent le devenir et les femmes qui allaitent, de ne pas boire de boissons alcoolisées».

Si la consommation présente des risques pour tout le monde, les femmes partent perdantes face à la boisson quand on regarde l’influence du sexe biologique.

«Elles métabolisent l’alcool de façon différente que les hommes. Le corps des femmes possédant en moyenne moins d’eau, l’alcool va se diluer moins bien, ce qui fait qu’à quantité égale, elles vont avoir une alcoolémie plus élevée que l’homme. D’autres effets comme des problèmes hépatiques et neurologiques apparaissent plus tôt chez les femmes», souligne Justine Drossart.

«En plus des autres cancers associés à la consommation d’alcool, un verre par jour augmente de 10% le risque relatif de cancer du sein, avec deux verres ce chiffre est doublé et ainsi de suite… On met hélas encore très peu les femmes au courant de ce lien», ajoute Thomas Orban.

Un terreau fertile

Chez Infor Drogues & Addictions, on ne définit pas la dépendance par la quantité ou la fréquence. «Une personne est dépendante à l’alcool lorsqu’elle ne sait pas remplir des besoins autrement qu’avec sa bouteille», explique Antoine Boucher, porte-parole de l’association bruxelloise. Et de poursuivre: «Les drogues répondent à des fonctions: créer du lien social, se donner une identité (sociale, professionnelle…) et gérer ses émotions. L’alcool, à la différence d’autres produits, comme la morphine par exemple, répond à ces trois fonctions, d’où sa présence massive et son succès», encouragés aussi par le fait qu’il est totalement légal.

«Elles métabolisent l’alcool de façon différente que les hommes. Le corps des femmes possédant en moyenne moins d’eau, l’alcool va se diluer moins bien, ce qui fait qu’à quantité égale, elles vont avoir une alcoolémie plus élevée que l’homme. D’autres effets comme des problèmes hépatiques et neurologiques apparaissent plus tôt chez les femmes.»

Justine Drossart, psychologue et alcoologue

Si les femmes boivent moins, leurs conditions de vie ne les préservent donc pas de la consommation. Loin de là. «Les injonctions pèsent lourd sur les femmes. On doit être des super-nanas, des mères exemplaires. C’est un terreau fertile pour l’alcool qui permet de tenir et d’échapper à la pression», observe Justine Drossart. À rebours du stéréotype des femmes «débauchées», l’alcoolodépendance concerne aussi des femmes actives et instruites, et touche toutes les catégories d’âge. «Les transformations de la société pourraient d’ailleurs venir augmenter les chiffres, avance Antoine Boucher. Les femmes sont de plus en plus confrontées au stress de la société de compétition.» 

Rôle à tenir, rôle à jouer

En matière d’identité, l’alcool n’échappe pas aux normes sociales de la féminité et de la masculinité. La publicité l’a bien compris. Ciblant les hommes d’abord, elle a peu à peu élargi le marché aux femmes (et fait de même pour les jeunes), usant de multiples stratégies: utilisation du rose, marketing autour de boissons à faibles calories, slogans d’empowerment…

«Le regard porté sur les femmes qui boivent évolue, fait observer à ce titre Justine Drossart. Dans les films ou la publicité, l’alcool est de plus en plus valorisé. Boire est corrélé à l’amitié, à l’émancipation. Ce n’est plus Sue Ellen qui boit toute seule dans son salon.» Aujourd’hui, il y a donc des femmes qui «boivent comme des hommes» reprenant à leur compte un alcoolisme bravache qui leur était longtemps interdit. Tout comme il y a aussi des hommes qui consomment, non pas au bistrot ou au stade de foot, mais dans le secret et la solitude.

Selon les contextes et les prescrits sociaux, des femmes vont dissimuler leur consommation pour rester conformes aux standards attendus de la féminité, mais d’autres useront de la boisson pour les transgresser.

Ce fut le cas d’Anaïs, 35 ans, qui vient de passer le cap d’un an de sobriété. «Boire m’a permis de ne pas être réduite aux carcans de la féminité attendue, de me faire une place en tant que femme, queer, lesbienne. J’ai toujours eu une bonne descente, du coup je buvais ‘comme un bonhomme’ dès l’adolescence. J’en ai joué et ça a alimenté quelque chose de fortement identitaire chez moi dès le plus jeune âge.» Si aujourd’hui elle utilise «alcoolique» pour parler d’elle, elle fut longtemps dans le déni. «Je ne me suis jamais identifiée à l’image de l’alcoolique qui boit son whisky dès le matin, poursuit-elle. J’ai longtemps caché ma dépendance derrière la sociabilité et la passion du vin nature.» Mais la boisson grignotait pourtant insidieusement son estomac, sa santé mentale, son estime d’elle-même, ses relations. Elle devenait aussi un sparadrap très collant sur un passé trop violent.

Traumas et addictions

Outre son rôle de lubrifiant social, l’alcool est aussi utilisé comme anesthésiant des souffrances. Et là aussi, les femmes trinquent. «Des études menées sur des femmes (ex-)consommatrices révèlent que des traumas vécus pendant l’enfance et l’adolescence sont fréquemment à l’origine de ruptures familiales accompagnées d’une entrée dans la consommation», rapporte la Fédération bruxelloise Drogues et Addictions (FEDA), dans une analyse de 2023 sur le rapport du genre aux assuétudes. Les violences psychologiques, physiques ou sexuelles peuvent amener la victime à adopter des conduites dites «dissociantes» pour ne pas faire face au souvenir de l’agression.

«L’alcool joue un rôle de dépresseur et d’anxiolytique. Les femmes l’utilisent comme automédication contre leurs souffrances psychosomatiques», constate aussi Charlotte Bonbled de DUNE, dispositif de réduction des risques liés à l’usage de drogues en milieu précaire, qui depuis 2018, consacre chaque lundi un espace spécifiquement dévolu aux femmes afin de leur apporter l’attention et la prise en charge spécifiques requises. De plus, l’ensemble des services PMS leur est réservé une fois par mois et des maraudes spécifiquement attribuées. «Les femmes que nous rencontrons subissent des violences inouïes et, bien souvent, elles n’ont que la consommation pour s’apaiser», observe-t-elle.

Thomas Orban pose systématiquement la question des violences à ses patientes, «non pas pour stigmatiser les femmes, mais pour leur montrer que la dépendance ne vient pas de nulle part, précise le médecin. Des patientes me confient aussi que l’alcool les aide à endurer les violences conjugales, comme un antidépresseur, alors qu’il renforce l’état dépressif».

C’est un cercle vicieux. L’alcool «apaise», mais il altère aussi la sensibilité et la vigilance, et peut mettre les femmes en situation de danger et de violences. Une vaste étude scientifique française de 2024 a montré qu’il était un facteur déterminant des violences sexistes et sexuelles en milieu étudiant, relevant une consommation, tant chez les auteurs (qui constitue une circonstance aggravante pour l’agresseur devant la loi belge) que chez les victimes. «Constat devant être appréhendé, pour les secondes comme des éléments de vulnérabilisation», précise l’étude. Pourtant, là aussi, les stéréotypes ont la peau dure. «Une femme qui boit est regardée comme une femme émancipée, une ‘bonne vivante’, mais aussi comme une femme qui prend des risques, voire une ‘fille facile’. On est toujours sur une ligne de crête», déplore Anaïs.

Des espaces où parler

Pour prévenir l’alcoolodépendance féminine, il faut d’abord en connaître les ressorts. «Or, elle est encore trop souvent appréhendée et traitée comme l’alcoolisme masculin», remarque Maïté Rogie. «En consultation, on va moins vite penser à l’alcool chez une femme que chez un homme», regrette aussi Thomas Orban.

Justine Drossart et Maïté Rogie ont lancé «Vers elles», groupe de discussion réservé aux femmes en dehors de l’hôpital. «Notre objectif est de toucher celles qui ne portent pas encore les stigmates de la dépendance. Car entre le moment où l’on a un problème et le moment où l’on se dit qu’il y a un problème, ça peut prendre dix ans.» Elles plaident pour la multiplication d’espaces en non-mixité «où les femmes peuvent parler librement et en sécurité de sujets intimes difficiles», «retrouver l’estime de soi et solidariser».

«L’alcool joue un rôle de dépresseur et d’anxiolytique. Les femmes l’utilisent comme automédication contre leurs souffrances psychosomatiques.»

Charlotte Bonbled de DUNE, dispositif de réduction des risques liés à l’usage de drogues en milieu précaire

Sachant que les violences et la dépression sont de grands facteurs de risques, Charlotte Bonbled préconise – à la place de la culpabilisation, qui prend des contours de répression (comme les arrêtés communaux interdisant la consommation d’alcool sur la voie publique) quand il s’agit de femmes précarisées – «de travailler sur les raisons qui mènent les femmes à consommer et d’investir dans l’accès à la santé mentale, mais aussi à l’accès au logement, etc.».

La parole se libère

Si les yeux commencent à s’ouvrir sur l’alcoolodépendance féminine, c’est certainement parce que les femmes prennent la parole avec une force désarmante. Ces dernières années voient fleurir des podcasts, livres ou comptes Instagram. Les femmes y racontent leurs années de lendemain de veille, leurs stratégies pour cacher leur conso, leur recherche de sobriété heureuse ou leur chemin de modération, leurs premières vacances ou date sans alcool. Autant de témoignages qui esquissent des vies non pas toujours sans alcool, mais pas systématiquement avec.

Anaïs a elle aussi documenté certaines étapes de son chemin sur Instagram. «Des femmes comme Claire Touzard, Charlotte Peyronnet (autrices de Sans Alcool et de Et toi, pourquoi tu bois?, NDLR) ou Anna Toumazoff (journaliste qui tient un compte Instagram, NDLR) m’ont tellement aidée à me sentir moins honteuse et moins seule dans un monde où l’alcool nous suit presque partout, que je trouve important aujourd’hui d’en parler même si ce n’est pas simple», explique-t-elle. Car sortir de la dépendance, c’est aussi renoncer à l’illusion de soi, faire face à des émotions longtemps refoulées. Loin de vouloir célébrer une résilience ou une volonté individuelle ou même de stigmatiser la boisson, ces récits mis bout à bout contribuent à déconstruire les pratiques de dépendance féminine et à sortir d’un déni collectif.

 

*Ces prénoms ont été modifiés.

Publié dans articles sur AA

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Des anciens alcooliques luxembourgeois témoignent: «On n’en guérit jamais»

Publié le par kreizker

in "Virgule" (édition française du Luxemburger Wort), 22 Janvier 2025

Cet article devrait être publié en allemand et en portugais prochainement.

Dans le cadre du Dry January, trois membres d’un groupe luxembourgeois des Alcooliques Anonymes ont accepté de se livrer, sans détour, sur leur parcours de vie brisé par l’alcool. Mais aussi sur leur renaissance, acquise au prix d’une volonté sans faille.

Face à l’alcoolisme, il n’y a aucune honte à demander de l’aide.

Face à l’alcoolisme, il n’y a aucune honte à demander de l’aide.

Brigitte, Carine ou Franz. Trois prénoms pour trois histoires différentes, mais une même réalité: celle d’avoir, un jour, croisé la route sinueuse et trompeuse de l’alcool. À un moment de leur vie, celui-ci s’est glissé dans leurs habitudes, prenant doucement, mais sûrement, une place qu’ils n’avaient pas prévue. Chacun à sa manière, ils ont vu leur quotidien vaciller sous son emprise, avant de se confronter à la longue marche vers la liberté, notamment grâce au soutien continu du groupe d’entraide des Alcooliques Anonymes (AA) luxembourgeois.

 

Avec une dignité rare, Brigitte, Carine et Franz parlent de cette période avec une sérénité que seuls ceux qui ont connu ce fléau qu’est l’alcoolisme peuvent comprendre. Dans le cadre du Dry January, ce mois sans alcool, leurs paroles résonnent un peu plus profondément.

 

Pour Brigitte, c’est durant son adolescence qu’elle découvrira l’alcool, dans un milieu familial où la boisson était omniprésente. Au fil des années, sa consommation ne fera qu’augmenter jusqu’à ce que celle-ci lui cause des problèmes dans son couple. «Je n’arrêtais pas de faire des bêtises. En fait, une fois que je prenais un verre, je ne parvenais tout simplement plus à m’arrêter de boire. Je ne savais pas comment m’arrêter», résume-t-elle. Elle se souvient notamment de nombreux accidents de la route causés par la boisson. «J’étais un vrai danger public sur les routes et j’ai provoqué plusieurs accidents, heureusement sans gravité. Je ne me rendais toutefois pas compte de ma consommation problématique.»

 

Je sais que si je retouche à une seule goutte d’alcool, je risque de retomber dans mes travers.

                                                  Brigitte
                  Abstinente depuis une trentaine d’années

 

Dans son malheur, vers l’âge de 26 ans, Brigitte trouvera un médecin très compétent, qui parviendra à mettre des mots sur la maladie dont elle souffre. «Il m’a donc envoyé chez les AA. C’est là que j’ai appris à me prendre en main. C’était en 1986», dit celle qui n’a plus bu une goutte d’alcool depuis 1993. «En début d’abstinence, le manque était évidemment difficile à gérer mais aujourd’hui, je sais me contenir. Toutefois, je sais que si je retouche à une seule goutte d’alcool, je risque de retomber dans mes travers. Bien sûr, voir son entourage boire autour de soi, dans une région festive comme la nôtre, ce n’est pas facile. Mais je fais avec.»

 

 

Une tentative de suicide salvatrice pour Carine

 

Sa dépendance aux drogues dures, à l’alcool et aux médicaments, Carine en parle sans détour. «Vers 14 ans, j’ai commencé à fumer mes premiers joints et à prendre de la cocaïne», explique-t-elle. «Mais je m’étais toujours jurée de ne pas toucher à l’alcool, mon père étant un ancien grand buveur.» Malheureusement, ce qui devait arriver arriva et Carine sombrera peu à peu dans l’alcoolisme. «Le psychiatre que je consultais m’avait prescrit des calmants qui, bien qu’efficaces, ne se mélangeaient pas du tout avec l’alcool. J’en étais arrivé à un point où mon réveil, c’était du café chaud avec du schnaps dedans.»

C’est le début d’une longue descente aux enfers pour la résidente. «Le cocktail alcool/médicaments m’a amené tout un tas de problèmes dans mon travail ainsi qu’avec ma mère. J’étais aussi devenue maman entretemps et lorsqu’il a eu sept ans, mon fils a été pris en charge par les services sociaux.»

 

 

 

Je traînais aux abords de la gare de Luxembourg, avec d’autres toxicomanes. J’étais très agressive et je n’hésitais pas à frapper.

                                             Carine
                              Abstinente depuis 38 ans
 

Alors au fond du trou, Carine continue de creuser encore. «J’ai continué à boire et à me droguer encore davantage. Je me souviens que je traînais aux abords de la gare de Luxembourg, avec d’autres toxicomanes. J’étais très agressive et je n’hésitais pas à frapper», souffle-t-elle. Acculée, remplie d’idées noires, la Luxembourgeoise prend la décision d’en finir avec la vie. «Je me suis gavée de médicaments et d’alcool. Soudain, je sentais que je ne parvenais plus à respirer.» Dans la tête de Carine se déclenche un électrochoc. «J’ai eu la trouille, j’ai eu peur. Je me suis rendu compte que je voulais vivre plus que tout.»

 

Elle parvient à contacter son docteur qui la tirera d’affaire in extremis. «J’ai ensuite suivi une cure. C’est là que j’ai compris que j’étais dépendante et que cela n’avait rien à voir avec un manque de caractère de ma part.» Au sortir de la cure, à l’âge de 30 ans, elle intégrera plusieurs groupes de AA avec lesquels elle tentera de se reconstruire petit à petit. «J’ai laissé tomber toutes mes anciennes relations pour me construire un nouveau cercle social»

 

Grâce à son courage et à ses nouvelles relations, Carine, aujourd’hui âgée de 67 ans, est parvenue à vaincre ses démons et entamer une seconde vie. «J’ai bâti ma maison et j’ai pu retrouver un travail qui m’a fait travailler avec des enfants pendant tout un temps. Je vis seule, avec mes trois chats, mais mon fils, qui a aujourd’hui 44 ans, a eu un enfant. Je prends donc mon rôle de grand-mère très à cœur. On peut tout résoudre dans la vie. Le tout est de pouvoir trouver la volonté nécessaire.»

 

Une belle renaissance pour celle qui veut désormais respecter sa promesse d’abstinence jusqu’à la mort. «Aujourd’hui encore, je ne veux plus me rendre sur les lieux où j’allais lorsque j’étais au plus mal», explique celle qui est désormais sobre depuis 38 ans.

 

 

Franz a frôlé le syndrome de Korsakoff

 

Franz, 62 ans, est le plus «jeune» des trois témoignages que nous avons recueillis en termes d’abstinence. «Je ne bois plus une goutte depuis deux ans», dit-il. Il faut dire qu’il s’en est fallu de peu pour que le Luxembourgeois ne soit plus là pour raconter son histoire.

 

Celle-ci débute en réalité le 7 décembre 2022, le jour où tout a basculé pour Franz. «Avant cette date, je buvais effectivement beaucoup, mais je ne me considérais pas du tout comme étant alcoolique. Je pensais avoir ma consommation sous contrôle, tant que mon corps pouvait le gérer.»

 

Seulement voilà, ce jour-là, Franz s’effondre littéralement à son domicile, inconscient. Hospitalisé au CHL, le résident subira toute une batterie d’examens qui révélera qu’il a fait une crise épileptique, suivi d’un arrêt du cœur pendant trois longues minutes. «Les docteurs m’ont dit qu’au vu de ma situation, j’étais propice à développer le syndrome de Korsakoff, un grave trouble cérébral lié à une consommation excessive et qui mène à une démence totale.»

 

Je buvais afin de gérer mes émotions. Or, je ne faisais qu’appliquer un brouillard temporaire sur mes problèmes

                                          Franz
                         Abstinent depuis deux ans
 

Franz prend alors conscience de la gravité de sa situation, provoquée par l’alcool. Il comprendra plus tard qu’il était un «Spiegeltrinker». C’est-à-dire un buveur qui peut contrôler sa consommation quotidienne, mais pour qui il est impossible d’arrêter de boire, même pendant quelques jours. «L’alcool était donc permanent dans mon quotidien, du matin au soir et à un certain niveau. J’étais à environ 12 bouteilles de bière par jour», détaille-t-il. «Je ne buvais pas pour le goût, mais plutôt pour gérer mes émotions, étant quelqu’un de très sensible. Tout du moins, je croyais que cela m’aidait à le faire. En réalité, l’alcool ne faisait qu’appliquer un brouillard à mes problèmes, qui revenaient encore plus forts par la suite.»

 

L’homme devra réapprendre à marcher, notamment au sein du Rehazenter. «J’ai également suivi une thérapie en Allemagne, où cela est généralement plus strict qu’au Luxembourg. J’y ai également suivi plusieurs groupes de parole.» De retour au Grand-Duché, il participera à un groupe des AA et ne lâchera plus ce dernier depuis lors. «Cela me permet de recharger mes batteries, d’être conscient d’où l’on vient. Aujourd’hui, je ne veux plus boire, car je souhaite profiter de la vie, y compris dans les choses les plus simples.»

 

«La dépendance émotionnelle reste toute la vie»

 

Bien qu’ils soient désormais tous les trois abstinents depuis un long moment, les trois protagonistes participent toujours, et de manière assidue, aux rendez-vous de leur groupe des AA. «C’est très important pour moi», insiste Brigitte. «Il n’y a pas vraiment de méthode pour arrêter de boire, car c’est un travail qui doit venir de soi-même. Je m’y rends pour parler de mon parcours, écouter et émettre des éventuelles suggestions aux participants. Dans tous les cas, il n’y a jamais aucun jugement ou d’attaque de la part des participants», insiste Brigitte.

 

Franz va même plus loin. «On ne guérit jamais de l’alcoolisme», assure-t-il. «L’abstinence physique, elle ne dure que six ou huit jours environ. Mais la dépendance émotionnelle, en revanche, elle reste toute la vie».

 

Je m’interdis également les chocolats contenant de l’alcool, ou même les sauces !

                                   Franz
                        Abstinent depuis deux ans
 

Il prend d’ailleurs cet exemple qui pourrait sembler insolite aux premiers abords, mais qui illustre pourtant ce combat quotidien. «Je ne bois évidemment plus de boissons alcoolisées, mais ce n’est pas tout. Je m’interdis également les chocolats contenant de l’alcool, ou même les sauces ! C’est une manière d’éviter de ne pas duper notre cerveau, qui garde ce goût dans sa mémoire, et lui faire croire que nous avons bu quelque chose d’alcoolisé».

 

Au travers de ces témoignages, Franz, Carine et Brigitte rappellent que, face à l’alcoolisme, il n’y a ni fatalité ni honte à demander de l’aide. En guise de conclusion, et d’une seule et même voix, ils rappellent que chaque petit pas compte, chaque victoire personnelle a du sens. Car au final, la sobriété se construit, comme eux, un jour à la fois.

 

Plusieurs groupes d’Alcooliques Anonymes au Luxembourg

 

Les Alcooliques Anonymes (AA) ont été fondés en 1935 par Bill Wilson et le docteur Bob Smith aux États-Unis. Tous deux alcooliques, ils partageront , dans un premier temps, leurs expériences et constateront que parler de leurs luttes respectives les aide à tenir. Ce dialogue marque ainsi le point de départ des Alcooliques Anonymes.

 

En partageant leurs histoires et en s’entraidant, ils ont créé une méthode basée sur 12 étapes pour aider les alcooliques à retrouver la sobriété. En quelques mots, ce programme met l’accent sur l’anonymat, le soutien mutuel et la reconnaissance de son impuissance face à l’alcool. Rapidement, le mouvement s’est étendu à l’international et continue, encore aujourd’hui, d’offrir une approche communautaire sur la question de l’alcoolisme.

 

Au Luxembourg, plusieurs réunions sont organisées chaque semaine par différents groupes, et ce, aux quatre coins du pays. Certaines sont tenues en luxembourgeois, d’autres en français, mais également en anglais ou en portugais.

 

Pour les francophones, deux réunions sont organisées chaque semaine. Le mercredi, la réunion se tient au sein du Centre culturel Paul Barblé à Strassen dès 20h. Le samedi, à 17h30, la réunion a lieu au sein de la Zithaklinik. Notons que cette dernière est aussi accessible pour les lusophones. «Dans notre groupe, le nombre de participants varie énormément d’une semaine à l’autre. Il y a pas mal de fidèles, qui sont là chaque semaine, mais il peut y avoir parfois trois nouveaux membres d’un coup», explique Brigitte. «Les profils sont vraiment variés, tant au niveau de l’âge, de la profession et des origines.»

 

Si Brigitte, Carine et Franz reconnaissent volontiers une certaine dimension spirituelle dans le cadre de leurs réunions, ils insistent sur le fait que les AA ne sont pas une secte. «Il n’y a aucun chef, l’adhésion se fait sur base volontaire et nous n’avons aucune barrière d’entrée basée sur la religion, la culture ou les croyances. La seule condition pour devenir membre est un désir d’arrêter de boire. Chacun est également libre de quitter le groupe dès qu’il le souhaite», insistent-ils.

 

Si vous sentez que vous perdez le contrôle face à l’alcool, n’hésitez pas à contacter un groupe AA Lux par mail (aaluxbg@gmail.com), par téléphone (+352 621 651 097) ou à vous rendre spontanément à l’une des réunions organisées.

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Faut-il croire en Dieu pour suivre le programme des Alcooliques Anonymes?

Publié le par kreizker

 in "Slate", 22 Janvier 2024

La notion de spiritualité est au cœur du mouvement.

«La dimension spirituelle des AA, c'est comme la partie humide de la mer, elle est omniprésente dans le mouvement, précise Alice. C'est se dire qu'on n'est pas Dieu, qu'on n'est pas seul mais aidé par le groupe et une puissance supérieure à soi-même.»

«La dimension spirituelle des AA, c'est comme la partie humide de la mer, elle est omniprésente dans le mouvement, précise Alice. C'est se dire qu'on n'est pas Dieu, qu'on n'est pas seul mais aidé par le groupe et une puissance supérieure à soi-même.»

Se sortir de l'alcoolisme implique-t-il de remettre son destin entre les mains de Dieu? Si cette dimension religieuse des Alcooliques Anonymes (AA) est bien connue aux États-Unis, elle reste plus confidentielle et plus discrète dans l'Hexagone, sans pour autant en être absente. Créé en 1935 dans l'État américain de l'Ohio et importé en France en 1960, le mouvement est né de la rencontre entre deux alcooliques en rétablissement. Il repose sur un programme en douze étapes qui promet de guider les personnes dépendantes vers l'abstinence.

Parmi les valeurs véhiculées dans ces différents points, les références à Dieu sont nombreuses. «Nous avons décidé de confier notre volonté et notre vie aux soins de Dieu tel que nous Le concevions»«Nous étions tout à fait prêts à ce que Dieu élimine tous ces défauts» ou encore «Nous avons cherché par la prière et la méditation à améliorer notre contact conscient avec Dieu tel que nous Le concevions» en sont ainsi autant de mentions ouvertement assumées au sein de l'organisation et de son texte fondateur.

Par ailleurs, une «prière de la sérénité» est récitée à chaque réunion, renforçant encore l'aspect pieux de l'association. Il est enfin difficile de ne pas penser à la Bible ou à un autre texte sacré quand est évoqué le «Gros Livre» qui présente le programme complet des Alcooliques Anonymes.

Pour autant, si cette croyance traverse le mouvement, l'affiliation des AA à une religion est réfutée par l'organisation elle-même. «Nous ne sommes pas une association religieuse. Croyante, athée, agnostique, toute personne ayant un problème avec l'alcool a sa place aux AA»est-il écrit dans ses statuts. «Le mot “Dieu”, qui est inscrit dans la méthode des Alcooliques Anonymes, est ouvert à la conception personnelle de chacun.»

Entre religion et spiritualité

Car si le terme est omniprésent chez les AA, il est également contrebalancé par les formules «tel que nous Le concevions» ou «puissance supérieure»«Il y a beaucoup d'incompréhension autour de cette dimension, se défend Alice*, alcoolique abstinente depuis vingt ans et chargée des relations publiques au sein du mouvement –bien qu'elle précise préférer parler en son nom propre. Quand on regarde trop rapidement les AA, on pense que c'est un mouvement religieux. Effectivement, les créateurs avaient une foi religieuse, mais ils ont rapidement formulé cet aspect “croyance” comme quelque chose d'extérieur à soi, qu'on appelle entre nous une “puissance supérieure”. C'est une spiritualité qui peut être laïque!»

Cette nuance entre religion et spiritualité est présente dans l'esprit des membres de l'association. Ils évoquent ainsi pour beaucoup la puissance du groupe, la croyance dans l'entraide et la nécessité d'être habité par l'espoir du rétablissement en remplacement de la foi religieuse pure et dure. L'éveil spirituel reste toutefois un présupposé très fort sur la route vers la sobriété. «La dimension spirituelle des AA, c'est comme la partie humide de la mer, elle est omniprésente dans le mouvement, précise Alice. C'est se dire qu'on n'est pas Dieu, qu'on n'est pas seul mais aidé par le groupe et une puissance supérieure à soi-même.» Des concepts abstraits, qui laissent la porte ouverte à une infinité d'interprétations.

 

Si le mouvement s'assure ni religieux ni laïc, il en ressort malgré tout que ses racines s'ancrent profondément dans la tradition évangélique américaine. Le mythe fondateur de l'organisation, qui implique deux chrétiens pratiquants –Bill W. et le Dr Bob– qui se seraient vus inspirer leurs douze étapes directement par le divin en est une preuve.

Le mouvement des AA «s'est fortement inspiré de principes du Groupe d'Oxford qui était, à la fin des années 1930, un mouvement évangélique religieux populaire», décrit ainsi Amnon Jacob Suissa, sociologue et professeur associé à l'École de travail social de l'université du Québec à Montréal, dans un article de la revue SpiritualitéSanté. «Même si on parlait peu de théologie proprement dite, l'accent était mis sur la confession et la conversion des membres avec comme cachet la préséance absolue de Dieu.»

L'ombre du prosélytisme

De là à parler de prosélytisme? Les détracteurs du mouvement n'hésitent pas et le comparent à une secte utilisant la faiblesse et l'isolement des personnes dépendantes à l'alcool pour les endoctriner. Un aspect d'ailleurs renforcé par le langage commun employé par les membres de l'association. Au cours des réunions, les termes «fraternité», «amis» ou «éveil spirituel» sont en effet souvent répétés. C'est également le cas dans les groupes particulièrement dédiés aux athées et aux agnostiques.

Alors qu'une réunion ouverte se tient en une matinée de ce mois de janvier, une vingtaine de participants non croyants s'écoutent mutuellement évoquer leur «puissance supérieure». En préambule, le modérateur précise avec insistance que le mouvement n'est lié à aucune confession religieuse ni à aucune secte. Si le mot «Dieu» est remplacé et la «prière de la sérénité» remixée pour évacuer toute connotation chrétienne, les témoignages de chacun tournent autour de la transcendance et de la croyance.

«C'est une force en moi qui m'a poussé à aller aux AA, quelque chose de plus fort que moi. Ma puissance supérieure, c'est d'avoir confiance en autre chose que moi pour résoudre mon problème», résume ainsi Louis*. «Aujourd'hui, j'ai accepté que c'est ma vie et ma conception de Dieu qui me guide, ce n'est pas moi. Cette découverte de la puissance supérieure vient de cette acceptation du vide et de mon incapacité», renchérit William*. «Pour ma part, la puissance supérieure passe par de l'action de transmission du message. Aller dans des prisons, des hôpitaux etc.», ajoute Thomas*.

La méfiance à l'égard des Alcooliques Anonymes s'enracine également dans leur autogestion en dehors du monde médical. Les groupes d'entraide ne sont pas chapeautés par des personnels qualifiés et aucun traitement clinique ou thérapeutique n'est proposé aux participants. «On pense souvent au départ que l'on boit trop et qu'il suffit d'avoir un traitement, affirme Alice. La dimension spirituelle de notre mouvement, c'est qu'on ne propose pas seulement d'arrêter de boire de manière sèche, on propose un travail personnel sur soi-même. Il ne suffit pas d'arrêter l'alcool, il faut qu'il soit remplacé par quelque chose. C'est presque une philosophie de vie que l'on propose.»

 

Vaincre les idées reçues

Cette membre active de l'organisation rappelle également la collaboration étroite avec le milieu médical, malgré les préjugés. «Généralement, on a un très bon accueil des addictologues, qui respectent et comprennent la notion de spiritualité dans le processus de soin, assure Alice. C'est un très bon complément des traitements médicaux.» Afin de tordre le cou aux idées reçues, le mouvement précise également qu'il ne reçoit aucune subvention mais s'autofinance grâce à ses membres.

Croyants, athées, agnostiques, tous ont leur place au sein des Alcooliques Anonymes, selon l'association qui défend son indépendance, sa tolérance et sa liberté de conscience. «Moi qui étais athée et anticléricale, je suis d'abord allée aux AA à reculons, je faisais l'amalgame entre spiritualité et religion, raconte Andrée*, alcoolique abstinente depuis vingt-sept ans et secrétaire d'une antenne locale du mouvement. En réalité, il est question de trouver quelque chose d'extérieur à soi-même. Pour moi, c'est la force du groupe, quelque chose de plus fort.»

Elle précise ne toujours pas pratiquer de religion et insiste également sur la reconnaissance par l'État des AA en tant qu'association loi de 1901«Le mot “secte” revient beaucoup, mais si on était une secte, l'Académie de médecine ne nous aurait pas récompensé de la médaille de vermeil en 2002!», ajoute-t-elle.

Alice rappelle quant à elle que le plus important reste l'absence d'injonction. «Chacun fait comme il le souhaite, à sa manière et à son rythme. Certains demeurent même à la première de nos étapes, sans invoquer de puissance supérieure, et ils sont évidemment les bienvenus quand même.» Selon elle, la branche française du mouvement ne s'appuie sur aucun dogme, aucun texte sacré et propose des alternatives pour que tous les participants s'y sentent bien.

Au sein du groupe de parole suivi, marqué par une couleur particulièrement agnostique, c'est d'abord l'entraide qui est mise en avant par les participants, tous âges confondus. «Accorder sa confiance au groupe, c'est déjà se créer une certaine foi, analyse Pauline*. L'effort de se tourner vers l'autre représente une puissance supérieure! Après, que cette puissance soit une montagne, un lutin ou autre chose…» Un raisonnement appuyé par Louis. «L'idée n'est pas d'arriver à une foi béate en quoi que ce soit, mais de réfléchir à un chemin en dehors de soi.»

«On se le prend souvent en pleine figure»

Si eux croient une appartenance possible aux AA malgré leur prudence vis-à-vis de la religion, d'autres sont plus catégoriques. Ils sont ainsi nombreux à être réfractaires au mouvement qu'ils jugent endoctrinant. Bruno, alcoolique abstinent depuis presque vingt ans, n'a jamais participé à aucune organisation d'entraide. «Je ne connaissais pas particulièrement la dimension religieuse des Alcooliques Anonymes mais clairement, cette spiritualité m'aurait rebuté, soutient le sexagénaire. J'aurais eu peur d'un embrigadement, d'un côté sectaire.»

 

Membre de l'association, Andrée admet qu'il est encore fréquent de se heurter à des personnes refroidies par cet aspect. «Quand on va rencontrer des patients alcooliques, à l'hôpital ou en prison, on se le prend souvent en pleine figure lorsqu'on débarque. Il y a effectivement des gens inquiets, rejetant cette dimension spirituelle.»

Selon la septuagénaire, l'importance est de faire de la pédagogie, mais aussi d'accepter les refus. «Il n'y a pas que nous, il y a aussi d'autres associations d'anciens buveurs! Je suis capable d'orienter les gens qui veulent arrêter de boire vers des alternatives. Le principal, c'est d'arrêter l'alcool et d'être heureux.» Quant à abandonner les références religieuses au sein du mouvement, la question n'est pas d'actualité. Même si en France, pays laïc au contraire des Etats-Unis, les Alcooliques Anonymes ont un temps craint que ce ne soit un frein à l'implantation du mouvement.

Si l'Hexagone n'est pas l'État le plus développé au monde en nombre de groupes d'AA, l'organisation reste malgré tout attachée à ses principes fondamentaux. «Il n'a jamais été question de modifier le mot “Dieu”, tranche Alice, responsable des relations publiques chez AA France. Nos douze étapes, c'est ce qui nous lie. On ne contourne pas le mot “Dieu”, mais on l'explique en parlant de “puissance supérieure” et la compréhension du terme est de mieux en mieux comprise.»

Publié dans articles sur AA

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"Devenir des êtres humains entiers"

Publié le par kreizker

in "Acadie Nouvelle" (Québec), 27Juin 2022

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