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"Les Alcooliques Anonymes, parmi les plus grands faiseurs de miracles de notre temps"

Publié le par kreizker

in "Le Club de Mediapart" (France), 6 Novembre 2025

Présents dans 180 pays à travers 130 000 groupes (dont 550 en France) - soit plus de 2 millions de membres à travers le monde, les Alcooliques Anonymes sont une communauté à part. Les réunions, véritables groupes de parole, sont uniques dans leur genre, dans leur organisation, dans leur expression et dans la solidarité qui s’y exprime - allons jusqu’à dire “fraternité”, voire même “spiritualité”.

     Les “AA”, un lieu unique au monde

          Ce sont des gens “merveilleusement ordinaires”“extraordinairement banals” : c’est ainsi que Joseph Kessel, à l'origine de l'implantation des Alcooliques Anonymes en France au début des années 60 grâce à son reportage publié dans le quotidien France Soir sur les Alcooliques Anonymes de New-York, qualifiait les dizaines de personnes assistants aux réunions. L’identité ne compte pas (juste un prénom), seul importe, pour devenir membre, le désir d’arrêter de boire - “Cette liberté est la première marche de l’acceptation de la maladie alcoolique”.

 

"Les Alcooliques Anonymes, parmi les plus grands faiseurs de miracles de notre temps"

   “Bonjour, je suis malade alcoolique”“Bonjour à tous, je suis à un mois et demi d’abstinence”“Moi, j’ai rechuté il y a 8 ans et depuis, j’ai du mal à refaire surface”. “Des exceptions, moi, je fais que ça : l’anniversaire d’une amie, l’heure de l’apéro, le verre après la séance de cinéma pour débriefer du film… Mais depuis un mois, j’ai arrêté et je suis bien déterminée à poser le verre.” “C’est socialement que c’est compliqué. Parce qu’à ceux à qui vous n’avez pas dit que vous étiez alcoolique, il faut gruger, esquiver, trouver des excuses pour ne pas se rejoindre dans un café, pour ne pas aller dîner”.

            Ces témoignages, il y en a des centaines, plusieurs fois par semaine, partout en France - à Paris, à Nantes, à Pornic, à Marseille et dans le monde entier. On fait connaissance, on se retrouve, on se présente, on se raconte, sans fard. Nouveaux, habitués, abstinents, rechuteurs, âgés, jeunes, français, immigrés, chômeurs, chefs d’entreprise, tout le monde est accueilli sur le même pied d’égalité, avec la même bienveillance, la même tolérance, le même respect et dans une absence totale de jugement. “Nous croyons qu’il n’existe pas sur terre une association qui entoure chacun de ses membres d’autant de sollicitude ; sûrement aucune ne protège plus jalousement le droit de chacun de penser, de parler et d’agir comme il l’entend” : la réunion de ce jour ne fait pas mentir cette première tradition du livre-bible des AA “Les douze étapes et les douze traditions”. Bien au contraire.

 

"Les Alcooliques Anonymes, parmi les plus grands faiseurs de miracles de notre temps"

Des réunions à cœur ouvert

          L’ordre du jour prévoit en premier lieu de célébrer les anniversaires des abstinents en France - les 12 ans de Francis, les 20 ans de Michèle, les 8 ans de Youssef, 1 an de Claire - comme autant d’encouragements, de marques de respect et de célébration pour ces compagnons d’infortune dont les parcours touchent, inspirent, rassurent et mobilisent. Puis le modérateur, qui change à chaque fois, livre son témoignage personnel. “Après avoir bu la première fois, j’ai eu l’impression d’avoir trouvé ma solution. Dans une certaine mesure ça m’a aidé à vivre pendant plusieurs années, mais ça me détruisait à petits feux… parce que je ne pouvais pas maîtriser ma consommation d’alcool et que l’alcool est devenu plus fort que moi”. C’est ainsi que Maël, 34 ans, débute son histoire. Lui, comme tou(te)s ici, ce jour-là, dans le sud de Paris, reconnaît sa maladie et exprime sa volonté de la combattre, dans une parole libre et désarmante de vérité. “Arrêter de boire, c’est facile. Continuer d’arrêter de boire, c’est très difficile. Il faut essayer de ne pas prendre la première goutte du premier verre”.

          La réalité de cette maladie touche en plein cœur. La souffrance, la solitude et la honte accompagnent au quotidien les personnes alcooliques venues chercher de l’aide, du réconfort et de l’énergie dans ce qu’ils nomment “une lutte de toute une vie” et “un parcours du combattant”“Il faut admettre qu’on est impuissant face à l’alcool et que l’on a perdu la maîtrise de nos vies. C’est très dur d’arrêter”.

          Mais le jeu en vaut largement la chandelle comme certains racontent, avec beaucoup de lucidité : “L’arrêt de l’alcool, je l’ai vécu comme un deuil. C’est comme si j’avais perdu mon meilleur ami. Mais il en allait de ma survie et aujourd’hui, je vous le dis, je préfère 1000 fois ma vie de maintenant. Je commence à m’aimer de plus en plus” explique Philomène, la cinquantaine. “C’est en venant ici et en continuant à arrêter l’alcool que j’ai su que la vie pouvait être belle” ajoute Sylvie, mère au foyer qui a perdu son travail et la garde de ses enfants, même si, avoue-t-elle, “l’absence d’alcool a laissé beaucoup de place dans ma vie et m’a laissée beaucoup de temps avec mon anxiété et ma dépression”. “Quand je suis arrivée aux AA, j’avais tout perdu, j’étais aux portes de la folie. Aujourd’hui, je ne bois plus et je n’en ai plus envie quelles que soient les circonstances que je traverse” raconte Renaud, la soixantaine grisonnante.

 

"Les Alcooliques Anonymes, parmi les plus grands faiseurs de miracles de notre temps"

 Alcooliques : aux l’origine du mal (être)...

        Chez les AA, il y a autant de formes d’alcoolisme qu’il y a d’alcooliques et chaque histoire particulière compte autant qu’une autre, explique-t-on. Les témoignages en sont l’illustration et semblent faire écho les uns aux autres.

       “J’ai toujours été une grande anxieuse et j’ai toujours été très attirée par l’alcool. Mais je voyais l’alcool comme un truc de clochards. J’ai commencé à boire pour me détendre puis j’ai perdu mon travail et la garde de mes fils” raconte Laurence. “Je ne buvais plus que pour m’amuser mais pour me donner du courage. L’alcool était une façon de me suicider au compte-goutte.”. “Je me cachais derrière la bouteille depuis l’adolescence. Je me suis isolée, je ne sortais plus. J’avais peur que ma peau sente l’alcool” raconte pour sa part, Laurie, 25 ans. “Ma vraie vie a commencé il y a 2 ans et 7 mois. Aujourd’hui, je répare ma vie, j’ai posé mon verre et ça va beaucoup mieux. Je vis une abstinence heureuse depuis que je suis aux AA. Il y a des jours avec et des jours sans mais jamais je n’échangerai avec ma vie d’avant”. 

       Comme on dirait “je suis fils de médecin”, certains racontent leur filiation avec la maladie. “Fils ou fille d’alcoolique” est brandi comme une fatalité, à l’image de Marc, 37 ans : “J’ai vu la déflagration que ça pouvait faire dans la famille. J’ai vu mon père ne pas tenir ses promesses, être incapable de tenir plus de 3 mois sans alcool et je lui en voulais… Et maintenant c’est moi, je suis passé du côté obscur”. Sandrine, 66 ans : “Mon père était alcoolique et il a nui à notre éducation, enfant, j’ai mis beaucoup de temps à pardonner jusqu’à ce que ça m’arrive.”

       “C’est pas que je ne veux pas, c’est que je n’ai pu éviter de tomber dans l’alcool. J’aurai voulu être débarrassé de l’obsession de l’alcool dès le matin mais je n’y arrive pas”. “J’ai rechuté mais je suis très persévérant”. “À l’intérieur, je ne vais pas bien du tout. J’ai vu des gens crever de l’alcool et je ne veux pas que ça m’arrive”.

        Monique a 79 ans. Elle raconte : “Je suis de la génération où l’on mélangeait le vin à l’eau dans les biberons. J’ai bu toute ma vie, à tous les repas et je m’aperçois que ça fait 50 ans que je lutte contre ça”. Son constat est le reflet d’une société qui a toujours célébré le vin comme le nec plus ultra de la gastronomie française. Heureusement les choses changent, les prises de conscience s’opèrent, grâce notamment aux campagnes de sensibilisation et de prévention qui ont “déglamourisé” l’alcool.

 

"Les Alcooliques Anonymes, parmi les plus grands faiseurs de miracles de notre temps"

    L’alcoolisme, une maladie dévastatrice, inéquitable et encore peu connue

        L’alcool, en France, est en effet une tradition bien ancrée. Sa consommation, qui a tout de même beaucoup baissé depuis les années 60, est aujourd’hui à l’origine de 49 000 décès par an (source Ministère de la Santé, 2025). Le coût estimé de ses hospitalisations est de 2,64 milliards d’euros. Le chemin à parcourir est encore long, en termes de sensibilisation - 8% des cas incidents de cancers sont imputables à l’alcool- et de compréhension de la maladie. On a longtemps pensé que l’“On ne naissait pas alcooliques, on le devenait”, mais depuis peu, les choses ne sont plus si sûres. Certains disent qu’il y a une prédisposition génétique à l’alcoolisme, d’autres qu’elle est liée à une intolérance organique, à une fragilité psychologique, ou encore à une vulnérabilité particulière de l’individu face à l’addiction.

       “L’alcoolisme est une maladie qui nous échappe et qu’on ne peut expliquer aux autres avec des mots simples. Tu vas aux réunions des AA et tu vas rencontrer 15/20 spécialistes de la chose” raconte Marie-Ange, 61 ans. “Je ne viens pas d’une famille d’alcooliques donc je me suis dit “pourquoi moi ?. L’alcool, je ne m’en suis pas méfiée… Mais je pense que j’ai un caractère dépendant” avance quant à lui, Paul, 71 ans.

        Aux différents profils, les mêmes constats se dressent cependant : boire, pour un alcoolique, n’est pas un plaisir, mais une nécessité. Environ 40 % d’entre eux présentent des troubles dépressifs. Et c’est le serpent qui se mord la queue : on boit pour réduire les effets de la dépression ou de l’anxiété, mais à la longue, les symptômes de dépression ou d’anxiété augmentent à cause de l’alcool.

 

"Les Alcooliques Anonymes, parmi les plus grands faiseurs de miracles de notre temps"

      “Les gens qui appellent à l’aide sont des gens qui cherchent à vivre” : les AA, une famille et un mentor

           Le fait de pouvoir en parler ici, aux AA, ça a tout changé. Ça fait du bien de se sentir à la maison”. Du courage et de la force pour affronter ses démons, il en faut et il en faudra tout au long de cette démarche longue, douloureuse mais salvatrice et inévitable. Car le plus souvent, ceux qui arrivent aux AA sont en bout de course, leurs tentatives individuelles s’étant toutes soldées par des échecs. Ils savent désormais que, seuls, ils n’y arriveront pas.“Les gens qui appellent à l’aide sont des gens qui cherchent à vivre” : les nouveaux venus des groupes de parole - “bravo pour ta démarche” se voient-ils pour félicités-, ne paient pas de droit d’entrée ni de cotisation, bénéficient d’un mentor qu’ils deviendront eux aussi -  ici, on rend ce que l’on a reçu- , suivent un programme de 12 étapes pour leur permettre de se rétablir et sont invités à raconter, s’ils le souhaitent et dans la temporalité qu’ils souhaitent, leur histoire. 

          Les Alcooliques Anonymes, “les plus grands faiseurs de miracles de notre temps” ? Si l’on ne connaît pas le taux de réussite exact des Alcooliques Anonymes car il est difficile à mesurer,  le Dr Robert DuPont, praticien reconnu dans le domaine de la dépendance a sa propre réponse : « Quand les gens me demandent le pourcentage de succès, je dis 100 pour cent – pour ceux et celles qui suivent les programmes comme ils doivent être suivis et qui (mettent” le rétablissement en tête de nos priorités. ». Et les témoignages semblent lui donner raison : “Je ne souhaite à personne les 20 ans que j’ai passés et que j’ai perdus” témoigne Djamila, 48 ans.”Depuis que je suis aux AA, je suis responsable de mon rétablissement et sans ce programme, je me jette sous un train. Il m’a permis de retrouver une stabilité émotionnelle”

 

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"La sobriété sans préjugés"

Publié le par kreizker

"La sobriété sans préjugés"

in "CBA/ABC National Magazine" (Association du Barreau Canadien), 2 Octobre 2025

International Lawyers in Alcoholics Anonymous permet aux juristes et aux juges d’obtenir de l’aide auprès de leurs pairs, sans craindre de rencontrer une personne qu’ils ont poursuivie, défendue ou emprisonnée.

Michèle S. a commencé à boire à l’âge de 12 ans.

« C’est lié à l’incapacité à faire face à la douleur que l’on ressent », explique cette consultante de Calgary et ancienne juriste, qui a demandé à ce que seule l’initiale de son nom de famille soit utilisée, conformément au protocole des Alcooliques Anonymes.

Elle a continué à boire pendant ses études en droit et pendant les deux décennies suivantes de travail intense dans une profession où les taux d’alcoolisme sont surprenants.

« C’est la solution pour être plus amusante. C’est la solution pour ne pas se sentir seule, dit-elle. C’est la solution pour s’intégrer. »

Du moins, c’est ce qu’elle pensait jusqu’au jour où elle s’est réveillée et a réalisé que ce n’était plus le cas.

« C’est un moment de grâce, un moment de clarté qui se produit lorsque l’on se dit : Wow. Je crois que je dois arrêter ou ça va me tuer. »

Elle a assisté à une réunion des AA et est maintenant sobre depuis 30 ans.

En tirant parti de sa propre expérience, elle participe maintenant à l’organisation d’une conférence qui se tiendra du 3 au 5 octobre à Banff pour International Lawyers in Alcoholics Anonymous (ILAA).

Ce groupe mondial comprend des sections en Colombie-Britannique, en Alberta, au Manitoba, en Ontario et aux États-Unis. International Lawyers in Alcoholics Anonymous permet aux juristes et aux juges de commencer à assister à des réunions des AA avec leurs pairs avant d’assister à des réunions au cours desquelles elles ou ils pourraient croiser des personnes qu’ils ont poursuivies, défendues ou emprisonnées.

La section de Calgary compte à elle seule une cinquantaine de membres qui assistent aux réunions et 25 autres membres inscrits.

« Il m’est déjà arrivé d’aller à une nouvelle réunion et d’y croiser un client », relate Andy C., juriste à la retraite et président du conseil d’administration de l’ILAA.

« Il est étonné de me voir, et moi aussi, mais nous comprenons pourquoi nous sommes là. »

Selon lui, les juristes qui boivent ont souvent un besoin criant de tout contrôler, ainsi qu’une peur profonde d’admettre qu’ils n’y parviennent pas. C’est en partie pour cela que le stéréotype des juristes qui travaillent dur et qui adorent faire la fête est toujours d’actualité.

« Le ton est donné au sommet de la hiérarchie, de sorte que les associés principaux encouragent souvent par inadvertance ce stéréotype qui a vu le jour à la faculté de droit. »

 

Un problème qui touche l’ensemble de la profession

Une étude nationale sur les déterminants de la santé et du mieux-être réalisée en 2022 par la Dre Nathalie Cadieux de l’Université de Sherbrooke et financée par la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada et l’Association du Barreau canadien, a interrogé des juristes sur leur consommation d’alcool.

L’étude a révélé que 14,1 % des participantes et 17,5 % des participants ont décrit une consommation d’alcool « dangereuse ou nocive ». Dans le cadre de l’étude, 4,3 % des participantes et 7 % des participants ont également déclaré qu’il était « fort probable » qu’elles et ils aient une dépendance à l’alcool.

Michèle S. dit que toute personne qui pense avoir un problème d’alcool en a probablement un. Cependant, obtenir de l’aide peut être décourageant dans une culture où les horaires intenables sont récompensés et où le stress aigu est la norme.

« Les juristes sont confrontés à de nombreuses pressions et à un grand nombre de préjugés », dit-elle.

« Nous ne voulons jamais être moins que parfaits. Notre travail doit être parfait. Sinon, pourquoi travaillerions-nous 12, 16 ou même 18 heures par jour? Cela crée certainement des conditions qui favorisent l’alcoolisme ».

 

Andy C. est sobre depuis 1977.

« Les problèmes que je traversais s’accumulaient : accidents de voiture, épisodes embarrassants et trous de mémoire. »

Il a commencé à fréquenter les AA au cours de sa troisième année d’études de droit à l’Université de Toronto. Il a trouvé un parrain et s’est fait des amis pour la vie, ce qui lui a permis d’avoir « une vie professionnelle et personnelle très satisfaisante et très productive ».

Depuis, il a soutenu des centaines d’autres personnes, qu’il s’agisse d’étudiantes ou d’étudiants en droit, de juristes en début de carrière ou de juges galonnés.

Selon Andy C., les jeunes juristes ne devraient jamais présumer que les clients préfèrent traiter avec une personne qui boit avec eux. En effet, un homme d’affaires de l’Alberta l’a un jour pris à part et lui a dit que lui et plusieurs autres personnes lui demandaient des conseils juridiques parce qu’il ne buvait pas.

 

Les signes de lutte ne doivent pas être négligés.

« J’ai été associé-directeur d’un cabinet de juristes de taille moyenne et il est si facile d’ignorer les comportements dysfonctionnels lorsque les recettes sont bonnes et que tout semble aller pour le mieux », explique-t-il.

En ignorant le problème, celui-ci ne fait que s’aggraver.

Même si la rechute est malheureusement fréquente, la porte des AA est toujours ouverte.

« Nous les accueillons avec enthousiasme et amour », souligne Andy C.

 

La crainte du jugement

Le psychothérapeute torontois Doron Gold, ancien avocat en droit de la famille et avocat plaidant au civil, dit que la dépendance à l’alcool peut constituer un obstacle majeur au traitement ou même à la reconnaissance de la dépendance.

Il décrit la consommation d’alcool comme un mécanisme d’adaptation mésadapté qu’il peut être difficile d’envisager d’abandonner. La crainte du jugement est un autre obstacle pour les juristes.

 

« Ils ont peur que leur dépendance soit découverte. »

Certains de ses clients manquent le travail ou déplacent des dates d’audience parce qu’ils ne peuvent pas fonctionner, tandis que d’autres le consultent en raison de problèmes relationnels.

Bien que l’on soit de plus en plus conscient du taux élevé d’alcoolisme au sein de la profession, Doron Gold dit que les occasions de rencontres avec des bars ouverts et des soirées cocktails sont encore très répandues.

« Je connais des personnes qui se rendent à ces conférences autant pour la fête que pour la formation. »

Selon lui, des attentes plus humaines en matière de travail et de vie privée, en mettant l’accent sur l’excellence plutôt que sur une perfection inatteignable, seraient une « excellente solution » au problème.

« Étant donné que la perfection n’existe pas, nous avons affaire à un groupe de personnes qui ont constamment le sentiment de ne pas être à la hauteur. »

M. Gold souhaiterait également que davantage d’ordres professionnels utilisent d’autres mesures disciplinaires qui tiennent compte des problèmes de santé mentale et de la dépendance comme des facteurs atténuants.

« Ils ne devraient pas alimenter la stigmatisation en se montrant punitifs dans leurs enquêtes et leurs procédures disciplinaires. »

 

Combler un vide

Derek LaCroix, c.r., est directeur général du Lawyers Assistance Program of BC. Il est d’avis que la plupart des personnes qu’il rencontre dans ses fonctions ont perdu de vue leur raison de pratiquer le droit.

« Ces personnes commencent leur carrière de manière idéaliste ou elles souhaitent aider des gens. Mais après un certain temps, cela devient une question d’argent. “Combien ai-je gagné? Combien ai-je facturé?” »

L’alcoolisme et les drogues engourdissent ou remplissent ce vide jusqu’à ce que cela ne fonctionne plus.

« La première étape consiste à admettre son impuissance face à l’alcool et que l’on a perdu la maîtrise de sa vie, explique-t-il. Mais il est difficile de simplement en arriver là. »

Me LaCroix estime que la stigmatisation de la dépendance est encore plus difficile pour les femmes, qui apprennent à se cacher. Si un mauvais comportement chez un homme peut être mal vu, pour une femme, c’est « scandaleux ». C’est l’une des raisons pour lesquelles il souhaite changer la culture de la profession juridique.

Il est devenu sobre en 1986 à l’âge de 37 ans avec l’aide des AA, après des années passées à essayer de s’en sortir seul. Il a été agréablement surpris par les réactions.

« Ce n’était pas quelque chose de négatif. En fait, les réactions étaient positives. Les gens me disaient : "Wow, c’est incroyable ce que tu as fait." »

Les récits de rétablissement sont des sources vitales d’espoir, et Me LaCroix incite les juristes d’expérience, y compris les juges, à les partager ouvertement.

« Même si ce comportement est normalisé et qu’il y a cette crainte que tout le monde vous juge, ce n’est généralement pas le cas », dit-il.

« La plupart des juristes admirent les personnes qui demandent de l’aide et qui changent. »

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"Quand les femmes trinquent"

Publié le par kreizker

in "Alter Échos" n° 521 (Belgique), 3 Février 2025

"Quand les femmes trinquent"

L’alcoolodépendance féminine a longtemps été un problème impensé. Elle demeure aujourd’hui entourée par des jugements sociaux et moraux. Mais peu à peu, les murs du silence se fissurent et révèlent les enjeux spécifiques de la consommation et de la dépendance à l’alcool chez les femmes.

«J’ai bu beaucoup pendant près de 15 ans. J’ai commencé jeune, à l’université, avec les copains, pour faire la fête. Puis à 30 ans, je ne pouvais plus m’en passer. Quand j’en ai pris conscience, j’ai eu honte et suis tombée en dépression. J’ai essayé d’arrêter, j’ai ramé et j’ai cru que j’allais mourir.» À 32 ans, Françoise* a poussé la porte des Alcooliques Anonymes d’une commune bruxelloise. C’est avec ses «amis» qu’elle fête ce jeudi de décembre son anniversaire de 35 ans d’abstinence, des années durant lesquelles elle a appris petit à petit «à s’amuser à nouveau».

Parmi les huit femmes sur les 14 personnes autour de la table, il y a aussi Marie*, abstinente depuis plus de 20 ans. «J’ai commencé à boire après ma séparation, autour de mes 40 ans, raconte-t-elle. C’est parti d’un petit plaisir pour mettre un peu de lumière dans ma vie seule avec mes enfants. C’est devenu un besoin après chaque problème. Je buvais pour soigner le trop-plein, la dépression, jusqu’à ce que mon fils me mette face à mon problème.» Tour à tour, s’ils le veulent, femmes et hommes racontent leur parcours, leur journée, égrènent leurs achoppements et leurs victoires, les difficultés éprouvées et les plaisirs retrouvés.

Menton enfoncé dans son écharpe, la benjamine du groupe, trentenaire, assiste à sa première réunion. Elle explique boire seule depuis sa rupture il y a trois ans. «J’ai perdu mes amis… Je n’ai plus envie de boire. Je ne sais pas comment je vais faire.» Pour elle, «dire le mot alcoolique est encore trop difficile». «Tu as fait le plus dur», s’empresse de lui dire sa voisine, qui la félicite d’avoir eu le courage de franchir la porte. «Chez les AA, on vit 24 heures à la fois et demain n’existe pas», répète aussi la modératrice.

Honte et dissimulation

Des femmes qui boivent, on en connaît, voire on en est. On en voit, souvent, et partout. Dans la rue, dans les bars, au repas du personnel, au marché de Noël, au cinéma, à la table de famille…

Mais comment la société regarde-t-elle et se préoccupe-t-elle de celles qui boivent beaucoup, celles qui boivent trop, celles qui ne peuvent plus s’en passer?

«Dans le passé, l’homme ‘pouvait boire’, la femme devait ‘tenir la maison’. C’était impensable de penser qu’une femme buvait, au risque de faire vaciller ce modèle. Le regard social a bien sûr évolué, mais on associe toujours plus les femmes à la modération et on juge les femmes qui boivent plus sévèrement. De ce fait, l’alcoolodépendance féminine est plus cachée, explique Thomas Orban, médecin généraliste et addictologue. Cela s’inscrit aussi dans le langage; on dit d’un homme qu’il est pété, on dira d’une femme qu’elle est pompette.»

«Dans le passé, l’homme ‘pouvait boire’, la femme devait ‘tenir la maison’. C’était impensable de penser qu’une femme buvait, au risque de faire vaciller ce modèle. Le regard social a bien sûr évolué mais on associe toujours plus les femmes à la modération et on juge les femmes qui boivent plus sévèrement. De ce fait, l’alcoolodépendance féminine est plus cachée.»

Thomas Orban, médecin généraliste et addictologue

«On attend des femmes qu’elles soient irréprochables et encore plus des mères. De nombreux jugements moraux et sociaux entourent l’alcoolodépendance féminine, analyse Justine Drossart, psychologue et alcoologue. Cela génère de la culpabilité et de la honte chez les femmes, qui mettent du temps à demander de l’aide.» Constatant une augmentation des femmes dans leurs consultations, elles ont, avec Maïté Rogie, psychologue et alcoologue, lancé en 2021 au sein du Centre régional psychiatrique Les Marronniers à Tournai le programme «Femmes et alcool». Inédit sur le territoire belge, il rassemble au maximum huit femmes sur une base volontaire pour 10 séances d’ateliers en groupe articulés autour de volets psycho-éducatifs, émotionnels et psychocorporels.

Moins nombreuses

Si l’on regarde les chiffres, les femmes boivent moins que les hommes. «Les hommes sont plus enclins que les femmes à présenter un profil à risque, que ce soit au niveau de la consommation quotidienne (13,5% H > 6% F), de l’hyper-alcoolisation (au moins six boissons en une seule fois, NDLR) hebdomadaire (11,5% H > 4% F), du binge drinking hebdomadaire (6% H > 3% F) et de la consommation problématique de l’alcool (9,5% H > 5% F)», rapporte Sciensano dans son Enquête de santé de 2018.

Les repères de consommation à risque sont fixés par le Conseil supérieur de la santé à 10 verres standards au maximum par semaine, deux par jour et au moins deux jours sans alcool par semaine. Le CSS recommande aussi aux jeunes de moins de 18 ans ainsi qu’aux «femmes enceintes, celles qui souhaitent le devenir et les femmes qui allaitent, de ne pas boire de boissons alcoolisées».

Si la consommation présente des risques pour tout le monde, les femmes partent perdantes face à la boisson quand on regarde l’influence du sexe biologique.

«Elles métabolisent l’alcool de façon différente que les hommes. Le corps des femmes possédant en moyenne moins d’eau, l’alcool va se diluer moins bien, ce qui fait qu’à quantité égale, elles vont avoir une alcoolémie plus élevée que l’homme. D’autres effets comme des problèmes hépatiques et neurologiques apparaissent plus tôt chez les femmes», souligne Justine Drossart.

«En plus des autres cancers associés à la consommation d’alcool, un verre par jour augmente de 10% le risque relatif de cancer du sein, avec deux verres ce chiffre est doublé et ainsi de suite… On met hélas encore très peu les femmes au courant de ce lien», ajoute Thomas Orban.

Un terreau fertile

Chez Infor Drogues & Addictions, on ne définit pas la dépendance par la quantité ou la fréquence. «Une personne est dépendante à l’alcool lorsqu’elle ne sait pas remplir des besoins autrement qu’avec sa bouteille», explique Antoine Boucher, porte-parole de l’association bruxelloise. Et de poursuivre: «Les drogues répondent à des fonctions: créer du lien social, se donner une identité (sociale, professionnelle…) et gérer ses émotions. L’alcool, à la différence d’autres produits, comme la morphine par exemple, répond à ces trois fonctions, d’où sa présence massive et son succès», encouragés aussi par le fait qu’il est totalement légal.

«Elles métabolisent l’alcool de façon différente que les hommes. Le corps des femmes possédant en moyenne moins d’eau, l’alcool va se diluer moins bien, ce qui fait qu’à quantité égale, elles vont avoir une alcoolémie plus élevée que l’homme. D’autres effets comme des problèmes hépatiques et neurologiques apparaissent plus tôt chez les femmes.»

Justine Drossart, psychologue et alcoologue

Si les femmes boivent moins, leurs conditions de vie ne les préservent donc pas de la consommation. Loin de là. «Les injonctions pèsent lourd sur les femmes. On doit être des super-nanas, des mères exemplaires. C’est un terreau fertile pour l’alcool qui permet de tenir et d’échapper à la pression», observe Justine Drossart. À rebours du stéréotype des femmes «débauchées», l’alcoolodépendance concerne aussi des femmes actives et instruites, et touche toutes les catégories d’âge. «Les transformations de la société pourraient d’ailleurs venir augmenter les chiffres, avance Antoine Boucher. Les femmes sont de plus en plus confrontées au stress de la société de compétition.» 

Rôle à tenir, rôle à jouer

En matière d’identité, l’alcool n’échappe pas aux normes sociales de la féminité et de la masculinité. La publicité l’a bien compris. Ciblant les hommes d’abord, elle a peu à peu élargi le marché aux femmes (et fait de même pour les jeunes), usant de multiples stratégies: utilisation du rose, marketing autour de boissons à faibles calories, slogans d’empowerment…

«Le regard porté sur les femmes qui boivent évolue, fait observer à ce titre Justine Drossart. Dans les films ou la publicité, l’alcool est de plus en plus valorisé. Boire est corrélé à l’amitié, à l’émancipation. Ce n’est plus Sue Ellen qui boit toute seule dans son salon.» Aujourd’hui, il y a donc des femmes qui «boivent comme des hommes» reprenant à leur compte un alcoolisme bravache qui leur était longtemps interdit. Tout comme il y a aussi des hommes qui consomment, non pas au bistrot ou au stade de foot, mais dans le secret et la solitude.

Selon les contextes et les prescrits sociaux, des femmes vont dissimuler leur consommation pour rester conformes aux standards attendus de la féminité, mais d’autres useront de la boisson pour les transgresser.

Ce fut le cas d’Anaïs, 35 ans, qui vient de passer le cap d’un an de sobriété. «Boire m’a permis de ne pas être réduite aux carcans de la féminité attendue, de me faire une place en tant que femme, queer, lesbienne. J’ai toujours eu une bonne descente, du coup je buvais ‘comme un bonhomme’ dès l’adolescence. J’en ai joué et ça a alimenté quelque chose de fortement identitaire chez moi dès le plus jeune âge.» Si aujourd’hui elle utilise «alcoolique» pour parler d’elle, elle fut longtemps dans le déni. «Je ne me suis jamais identifiée à l’image de l’alcoolique qui boit son whisky dès le matin, poursuit-elle. J’ai longtemps caché ma dépendance derrière la sociabilité et la passion du vin nature.» Mais la boisson grignotait pourtant insidieusement son estomac, sa santé mentale, son estime d’elle-même, ses relations. Elle devenait aussi un sparadrap très collant sur un passé trop violent.

Traumas et addictions

Outre son rôle de lubrifiant social, l’alcool est aussi utilisé comme anesthésiant des souffrances. Et là aussi, les femmes trinquent. «Des études menées sur des femmes (ex-)consommatrices révèlent que des traumas vécus pendant l’enfance et l’adolescence sont fréquemment à l’origine de ruptures familiales accompagnées d’une entrée dans la consommation», rapporte la Fédération bruxelloise Drogues et Addictions (FEDA), dans une analyse de 2023 sur le rapport du genre aux assuétudes. Les violences psychologiques, physiques ou sexuelles peuvent amener la victime à adopter des conduites dites «dissociantes» pour ne pas faire face au souvenir de l’agression.

«L’alcool joue un rôle de dépresseur et d’anxiolytique. Les femmes l’utilisent comme automédication contre leurs souffrances psychosomatiques», constate aussi Charlotte Bonbled de DUNE, dispositif de réduction des risques liés à l’usage de drogues en milieu précaire, qui depuis 2018, consacre chaque lundi un espace spécifiquement dévolu aux femmes afin de leur apporter l’attention et la prise en charge spécifiques requises. De plus, l’ensemble des services PMS leur est réservé une fois par mois et des maraudes spécifiquement attribuées. «Les femmes que nous rencontrons subissent des violences inouïes et, bien souvent, elles n’ont que la consommation pour s’apaiser», observe-t-elle.

Thomas Orban pose systématiquement la question des violences à ses patientes, «non pas pour stigmatiser les femmes, mais pour leur montrer que la dépendance ne vient pas de nulle part, précise le médecin. Des patientes me confient aussi que l’alcool les aide à endurer les violences conjugales, comme un antidépresseur, alors qu’il renforce l’état dépressif».

C’est un cercle vicieux. L’alcool «apaise», mais il altère aussi la sensibilité et la vigilance, et peut mettre les femmes en situation de danger et de violences. Une vaste étude scientifique française de 2024 a montré qu’il était un facteur déterminant des violences sexistes et sexuelles en milieu étudiant, relevant une consommation, tant chez les auteurs (qui constitue une circonstance aggravante pour l’agresseur devant la loi belge) que chez les victimes. «Constat devant être appréhendé, pour les secondes comme des éléments de vulnérabilisation», précise l’étude. Pourtant, là aussi, les stéréotypes ont la peau dure. «Une femme qui boit est regardée comme une femme émancipée, une ‘bonne vivante’, mais aussi comme une femme qui prend des risques, voire une ‘fille facile’. On est toujours sur une ligne de crête», déplore Anaïs.

Des espaces où parler

Pour prévenir l’alcoolodépendance féminine, il faut d’abord en connaître les ressorts. «Or, elle est encore trop souvent appréhendée et traitée comme l’alcoolisme masculin», remarque Maïté Rogie. «En consultation, on va moins vite penser à l’alcool chez une femme que chez un homme», regrette aussi Thomas Orban.

Justine Drossart et Maïté Rogie ont lancé «Vers elles», groupe de discussion réservé aux femmes en dehors de l’hôpital. «Notre objectif est de toucher celles qui ne portent pas encore les stigmates de la dépendance. Car entre le moment où l’on a un problème et le moment où l’on se dit qu’il y a un problème, ça peut prendre dix ans.» Elles plaident pour la multiplication d’espaces en non-mixité «où les femmes peuvent parler librement et en sécurité de sujets intimes difficiles», «retrouver l’estime de soi et solidariser».

«L’alcool joue un rôle de dépresseur et d’anxiolytique. Les femmes l’utilisent comme automédication contre leurs souffrances psychosomatiques.»

Charlotte Bonbled de DUNE, dispositif de réduction des risques liés à l’usage de drogues en milieu précaire

Sachant que les violences et la dépression sont de grands facteurs de risques, Charlotte Bonbled préconise – à la place de la culpabilisation, qui prend des contours de répression (comme les arrêtés communaux interdisant la consommation d’alcool sur la voie publique) quand il s’agit de femmes précarisées – «de travailler sur les raisons qui mènent les femmes à consommer et d’investir dans l’accès à la santé mentale, mais aussi à l’accès au logement, etc.».

La parole se libère

Si les yeux commencent à s’ouvrir sur l’alcoolodépendance féminine, c’est certainement parce que les femmes prennent la parole avec une force désarmante. Ces dernières années voient fleurir des podcasts, livres ou comptes Instagram. Les femmes y racontent leurs années de lendemain de veille, leurs stratégies pour cacher leur conso, leur recherche de sobriété heureuse ou leur chemin de modération, leurs premières vacances ou date sans alcool. Autant de témoignages qui esquissent des vies non pas toujours sans alcool, mais pas systématiquement avec.

Anaïs a elle aussi documenté certaines étapes de son chemin sur Instagram. «Des femmes comme Claire Touzard, Charlotte Peyronnet (autrices de Sans Alcool et de Et toi, pourquoi tu bois?, NDLR) ou Anna Toumazoff (journaliste qui tient un compte Instagram, NDLR) m’ont tellement aidée à me sentir moins honteuse et moins seule dans un monde où l’alcool nous suit presque partout, que je trouve important aujourd’hui d’en parler même si ce n’est pas simple», explique-t-elle. Car sortir de la dépendance, c’est aussi renoncer à l’illusion de soi, faire face à des émotions longtemps refoulées. Loin de vouloir célébrer une résilience ou une volonté individuelle ou même de stigmatiser la boisson, ces récits mis bout à bout contribuent à déconstruire les pratiques de dépendance féminine et à sortir d’un déni collectif.

 

*Ces prénoms ont été modifiés.

Publié dans articles sur AA

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Des anciens alcooliques luxembourgeois témoignent: «On n’en guérit jamais»

Publié le par kreizker

in "Virgule" (édition française du Luxemburger Wort), 22 Janvier 2025

Cet article devrait être publié en allemand et en portugais prochainement.

Dans le cadre du Dry January, trois membres d’un groupe luxembourgeois des Alcooliques Anonymes ont accepté de se livrer, sans détour, sur leur parcours de vie brisé par l’alcool. Mais aussi sur leur renaissance, acquise au prix d’une volonté sans faille.

Face à l’alcoolisme, il n’y a aucune honte à demander de l’aide.

Face à l’alcoolisme, il n’y a aucune honte à demander de l’aide.

Brigitte, Carine ou Franz. Trois prénoms pour trois histoires différentes, mais une même réalité: celle d’avoir, un jour, croisé la route sinueuse et trompeuse de l’alcool. À un moment de leur vie, celui-ci s’est glissé dans leurs habitudes, prenant doucement, mais sûrement, une place qu’ils n’avaient pas prévue. Chacun à sa manière, ils ont vu leur quotidien vaciller sous son emprise, avant de se confronter à la longue marche vers la liberté, notamment grâce au soutien continu du groupe d’entraide des Alcooliques Anonymes (AA) luxembourgeois.

 

Avec une dignité rare, Brigitte, Carine et Franz parlent de cette période avec une sérénité que seuls ceux qui ont connu ce fléau qu’est l’alcoolisme peuvent comprendre. Dans le cadre du Dry January, ce mois sans alcool, leurs paroles résonnent un peu plus profondément.

 

Pour Brigitte, c’est durant son adolescence qu’elle découvrira l’alcool, dans un milieu familial où la boisson était omniprésente. Au fil des années, sa consommation ne fera qu’augmenter jusqu’à ce que celle-ci lui cause des problèmes dans son couple. «Je n’arrêtais pas de faire des bêtises. En fait, une fois que je prenais un verre, je ne parvenais tout simplement plus à m’arrêter de boire. Je ne savais pas comment m’arrêter», résume-t-elle. Elle se souvient notamment de nombreux accidents de la route causés par la boisson. «J’étais un vrai danger public sur les routes et j’ai provoqué plusieurs accidents, heureusement sans gravité. Je ne me rendais toutefois pas compte de ma consommation problématique.»

 

Je sais que si je retouche à une seule goutte d’alcool, je risque de retomber dans mes travers.

                                                  Brigitte
                  Abstinente depuis une trentaine d’années

 

Dans son malheur, vers l’âge de 26 ans, Brigitte trouvera un médecin très compétent, qui parviendra à mettre des mots sur la maladie dont elle souffre. «Il m’a donc envoyé chez les AA. C’est là que j’ai appris à me prendre en main. C’était en 1986», dit celle qui n’a plus bu une goutte d’alcool depuis 1993. «En début d’abstinence, le manque était évidemment difficile à gérer mais aujourd’hui, je sais me contenir. Toutefois, je sais que si je retouche à une seule goutte d’alcool, je risque de retomber dans mes travers. Bien sûr, voir son entourage boire autour de soi, dans une région festive comme la nôtre, ce n’est pas facile. Mais je fais avec.»

 

 

Une tentative de suicide salvatrice pour Carine

 

Sa dépendance aux drogues dures, à l’alcool et aux médicaments, Carine en parle sans détour. «Vers 14 ans, j’ai commencé à fumer mes premiers joints et à prendre de la cocaïne», explique-t-elle. «Mais je m’étais toujours jurée de ne pas toucher à l’alcool, mon père étant un ancien grand buveur.» Malheureusement, ce qui devait arriver arriva et Carine sombrera peu à peu dans l’alcoolisme. «Le psychiatre que je consultais m’avait prescrit des calmants qui, bien qu’efficaces, ne se mélangeaient pas du tout avec l’alcool. J’en étais arrivé à un point où mon réveil, c’était du café chaud avec du schnaps dedans.»

C’est le début d’une longue descente aux enfers pour la résidente. «Le cocktail alcool/médicaments m’a amené tout un tas de problèmes dans mon travail ainsi qu’avec ma mère. J’étais aussi devenue maman entretemps et lorsqu’il a eu sept ans, mon fils a été pris en charge par les services sociaux.»

 

 

 

Je traînais aux abords de la gare de Luxembourg, avec d’autres toxicomanes. J’étais très agressive et je n’hésitais pas à frapper.

                                             Carine
                              Abstinente depuis 38 ans
 

Alors au fond du trou, Carine continue de creuser encore. «J’ai continué à boire et à me droguer encore davantage. Je me souviens que je traînais aux abords de la gare de Luxembourg, avec d’autres toxicomanes. J’étais très agressive et je n’hésitais pas à frapper», souffle-t-elle. Acculée, remplie d’idées noires, la Luxembourgeoise prend la décision d’en finir avec la vie. «Je me suis gavée de médicaments et d’alcool. Soudain, je sentais que je ne parvenais plus à respirer.» Dans la tête de Carine se déclenche un électrochoc. «J’ai eu la trouille, j’ai eu peur. Je me suis rendu compte que je voulais vivre plus que tout.»

 

Elle parvient à contacter son docteur qui la tirera d’affaire in extremis. «J’ai ensuite suivi une cure. C’est là que j’ai compris que j’étais dépendante et que cela n’avait rien à voir avec un manque de caractère de ma part.» Au sortir de la cure, à l’âge de 30 ans, elle intégrera plusieurs groupes de AA avec lesquels elle tentera de se reconstruire petit à petit. «J’ai laissé tomber toutes mes anciennes relations pour me construire un nouveau cercle social»

 

Grâce à son courage et à ses nouvelles relations, Carine, aujourd’hui âgée de 67 ans, est parvenue à vaincre ses démons et entamer une seconde vie. «J’ai bâti ma maison et j’ai pu retrouver un travail qui m’a fait travailler avec des enfants pendant tout un temps. Je vis seule, avec mes trois chats, mais mon fils, qui a aujourd’hui 44 ans, a eu un enfant. Je prends donc mon rôle de grand-mère très à cœur. On peut tout résoudre dans la vie. Le tout est de pouvoir trouver la volonté nécessaire.»

 

Une belle renaissance pour celle qui veut désormais respecter sa promesse d’abstinence jusqu’à la mort. «Aujourd’hui encore, je ne veux plus me rendre sur les lieux où j’allais lorsque j’étais au plus mal», explique celle qui est désormais sobre depuis 38 ans.

 

 

Franz a frôlé le syndrome de Korsakoff

 

Franz, 62 ans, est le plus «jeune» des trois témoignages que nous avons recueillis en termes d’abstinence. «Je ne bois plus une goutte depuis deux ans», dit-il. Il faut dire qu’il s’en est fallu de peu pour que le Luxembourgeois ne soit plus là pour raconter son histoire.

 

Celle-ci débute en réalité le 7 décembre 2022, le jour où tout a basculé pour Franz. «Avant cette date, je buvais effectivement beaucoup, mais je ne me considérais pas du tout comme étant alcoolique. Je pensais avoir ma consommation sous contrôle, tant que mon corps pouvait le gérer.»

 

Seulement voilà, ce jour-là, Franz s’effondre littéralement à son domicile, inconscient. Hospitalisé au CHL, le résident subira toute une batterie d’examens qui révélera qu’il a fait une crise épileptique, suivi d’un arrêt du cœur pendant trois longues minutes. «Les docteurs m’ont dit qu’au vu de ma situation, j’étais propice à développer le syndrome de Korsakoff, un grave trouble cérébral lié à une consommation excessive et qui mène à une démence totale.»

 

Je buvais afin de gérer mes émotions. Or, je ne faisais qu’appliquer un brouillard temporaire sur mes problèmes

                                          Franz
                         Abstinent depuis deux ans
 

Franz prend alors conscience de la gravité de sa situation, provoquée par l’alcool. Il comprendra plus tard qu’il était un «Spiegeltrinker». C’est-à-dire un buveur qui peut contrôler sa consommation quotidienne, mais pour qui il est impossible d’arrêter de boire, même pendant quelques jours. «L’alcool était donc permanent dans mon quotidien, du matin au soir et à un certain niveau. J’étais à environ 12 bouteilles de bière par jour», détaille-t-il. «Je ne buvais pas pour le goût, mais plutôt pour gérer mes émotions, étant quelqu’un de très sensible. Tout du moins, je croyais que cela m’aidait à le faire. En réalité, l’alcool ne faisait qu’appliquer un brouillard à mes problèmes, qui revenaient encore plus forts par la suite.»

 

L’homme devra réapprendre à marcher, notamment au sein du Rehazenter. «J’ai également suivi une thérapie en Allemagne, où cela est généralement plus strict qu’au Luxembourg. J’y ai également suivi plusieurs groupes de parole.» De retour au Grand-Duché, il participera à un groupe des AA et ne lâchera plus ce dernier depuis lors. «Cela me permet de recharger mes batteries, d’être conscient d’où l’on vient. Aujourd’hui, je ne veux plus boire, car je souhaite profiter de la vie, y compris dans les choses les plus simples.»

 

«La dépendance émotionnelle reste toute la vie»

 

Bien qu’ils soient désormais tous les trois abstinents depuis un long moment, les trois protagonistes participent toujours, et de manière assidue, aux rendez-vous de leur groupe des AA. «C’est très important pour moi», insiste Brigitte. «Il n’y a pas vraiment de méthode pour arrêter de boire, car c’est un travail qui doit venir de soi-même. Je m’y rends pour parler de mon parcours, écouter et émettre des éventuelles suggestions aux participants. Dans tous les cas, il n’y a jamais aucun jugement ou d’attaque de la part des participants», insiste Brigitte.

 

Franz va même plus loin. «On ne guérit jamais de l’alcoolisme», assure-t-il. «L’abstinence physique, elle ne dure que six ou huit jours environ. Mais la dépendance émotionnelle, en revanche, elle reste toute la vie».

 

Je m’interdis également les chocolats contenant de l’alcool, ou même les sauces !

                                   Franz
                        Abstinent depuis deux ans
 

Il prend d’ailleurs cet exemple qui pourrait sembler insolite aux premiers abords, mais qui illustre pourtant ce combat quotidien. «Je ne bois évidemment plus de boissons alcoolisées, mais ce n’est pas tout. Je m’interdis également les chocolats contenant de l’alcool, ou même les sauces ! C’est une manière d’éviter de ne pas duper notre cerveau, qui garde ce goût dans sa mémoire, et lui faire croire que nous avons bu quelque chose d’alcoolisé».

 

Au travers de ces témoignages, Franz, Carine et Brigitte rappellent que, face à l’alcoolisme, il n’y a ni fatalité ni honte à demander de l’aide. En guise de conclusion, et d’une seule et même voix, ils rappellent que chaque petit pas compte, chaque victoire personnelle a du sens. Car au final, la sobriété se construit, comme eux, un jour à la fois.

 

Plusieurs groupes d’Alcooliques Anonymes au Luxembourg

 

Les Alcooliques Anonymes (AA) ont été fondés en 1935 par Bill Wilson et le docteur Bob Smith aux États-Unis. Tous deux alcooliques, ils partageront , dans un premier temps, leurs expériences et constateront que parler de leurs luttes respectives les aide à tenir. Ce dialogue marque ainsi le point de départ des Alcooliques Anonymes.

 

En partageant leurs histoires et en s’entraidant, ils ont créé une méthode basée sur 12 étapes pour aider les alcooliques à retrouver la sobriété. En quelques mots, ce programme met l’accent sur l’anonymat, le soutien mutuel et la reconnaissance de son impuissance face à l’alcool. Rapidement, le mouvement s’est étendu à l’international et continue, encore aujourd’hui, d’offrir une approche communautaire sur la question de l’alcoolisme.

 

Au Luxembourg, plusieurs réunions sont organisées chaque semaine par différents groupes, et ce, aux quatre coins du pays. Certaines sont tenues en luxembourgeois, d’autres en français, mais également en anglais ou en portugais.

 

Pour les francophones, deux réunions sont organisées chaque semaine. Le mercredi, la réunion se tient au sein du Centre culturel Paul Barblé à Strassen dès 20h. Le samedi, à 17h30, la réunion a lieu au sein de la Zithaklinik. Notons que cette dernière est aussi accessible pour les lusophones. «Dans notre groupe, le nombre de participants varie énormément d’une semaine à l’autre. Il y a pas mal de fidèles, qui sont là chaque semaine, mais il peut y avoir parfois trois nouveaux membres d’un coup», explique Brigitte. «Les profils sont vraiment variés, tant au niveau de l’âge, de la profession et des origines.»

 

Si Brigitte, Carine et Franz reconnaissent volontiers une certaine dimension spirituelle dans le cadre de leurs réunions, ils insistent sur le fait que les AA ne sont pas une secte. «Il n’y a aucun chef, l’adhésion se fait sur base volontaire et nous n’avons aucune barrière d’entrée basée sur la religion, la culture ou les croyances. La seule condition pour devenir membre est un désir d’arrêter de boire. Chacun est également libre de quitter le groupe dès qu’il le souhaite», insistent-ils.

 

Si vous sentez que vous perdez le contrôle face à l’alcool, n’hésitez pas à contacter un groupe AA Lux par mail (aaluxbg@gmail.com), par téléphone (+352 621 651 097) ou à vous rendre spontanément à l’une des réunions organisées.

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