"La main tendue des Alcooliques Anonymes"
in "Le Quotidien Jurassien" (Suisse), 24 Février 2025
Depuis 45 ans en ces temps de carnaval, le Centre Saint-François accueille la convention des Alcooliques Anonymes (AA). À deux pas de la fête et de ses excès, elle ouvre samedi et dimanche une bulle de sérénité pour celles et ceux dont l’alcool a détruit la vie. Mais qui ont su la reconquérir.
Au Centre Saint-François, la convention des Alcooliques Anonymes est l’occasion de se renseigner pleinement sur les moyens de venir à bout de ce fléau.
"Je prenais de la drogue. Mais comme c’était diabolisé, l’alcool me servait d’excuse pour expliquer l’état dans lequel je rentrais."
En 1981, pour offrir une échappatoire à la tentation, l’alcoolique anonyme Fredy* met sur pied la première convention des AA pendant le carnaval de Delémont. Naturellement, Lilly y participe. "Nous étions une petite vingtaine, et comme il y avait deux cuisiniers parmi nous, nous prenions un plaisir fou à préparer de délicieux repas." Depuis, Lilly n’a jamais raté une convention, et n’a plus consommé une goutte. Du haut de ses neuf décennies, après s’être noyée dans un gouffre d’alcool durant 23 ans, elle peut s’enorgueillir d’une sobriété longue de 45 années.
L’alcool servi en excuse
À l’autre bout du spectre, Sophia*, elle, a commencé très jeune, dans une famille où son père donnait des coups quand il buvait des coups, où des proches sont morts dans des accidents liés à l’alcool. "À 12 ans, avec des amis à peine plus vieux que moi, je prenais de la drogue. Mais comme c’était diabolisé, l’alcool me servait d’excuse pour expliquer l’état dans lequel je rentrais. Son accès est tellement facile, sa consommation tellement banalisée", déplore la femme de 53 ans.
Âgée de seulement 18 ans, elle fait une cure de désintoxication et sort des griffes de la drogue. Pour retomber dans celles de l’alcool. "La maladie de l’alcoolisme, c’est de ne pas savoir s’arrêter. J’avais l’impression qu’il fallait tout faire en excès pour se sentir vivre." Résultat : Sophia ne suit ni études ni formation, ne survit que par des petits boulots. À 30 ans, elle est mise à la porte par son compagnon et se retrouve cinq mois en centre de traitement. C’est là qu’elle rencontre les AA et les NA – pour Narcotiques Anonymes. Et sort enfin la tête de l’eau.
Les parcours très différents de Sophia et Lilly se rejoignent ici: grâce au groupe AA, à la parole qu’il libère, au soutien qu’il apporte en tout temps, à toute heure, il est possible de mettre fin à l’emprise de l’alcool sur sa vie. "Dans une réunion AA, tout est basé sur l’écoute. Quand on prend la parole, personne ne nous interrompt. C’est gratuit, il n’y a pas de chef, aucune hiérarchie. On n’est obligé à rien, il y a un grand sentiment de liberté. Et ça m’a enfin permis de vraiment profiter de la vie", sourit Sophia.
Chacun sa puissance
Lilly complète: "Dans nos traditions, nous utilisons le mot Dieu, mais nous nous adressons en fait à la puissance supérieure que chacun veut s’imaginer, croyant comme athée. Il y a un côté spirituel, mais pas religieux. Et encore moins sectaire."
Et les deux de conclure en chœur: "Finalement, on a de la chance d’avoir bu. Car c’est à cause de ça que nous avons pu rencontrer les AA. Et ça, c’est la vraie chance de notre vie."
* prénoms anonymisés, bien sûr
La 45e convention des Alcooliques Anonymes BE-FRI-JU-NE ouvrira ses portes au Centre Saint-François, route du Vorbourg 4 à Delémont, samedi 1er mars, à 10 h, pour les refermer le dimanche, après le dîner de clôture.
Onze séances sont au programme, chacune d’une durée de 1 h 15 et avec son thème, par exemple "la sobriété émotionnelle" ou "ne plus être seul". Toutes et tous peuvent librement y assister, peu importe que l’on soit dépendant (les séances AA), proche d’alcoolique (les séances Al-Anon), faisant partie des "alliés naturels des AA", c’est-à-dire personnel soignant ou travailleur social, ou juste intéressé par la démarche libératoire des AA, qui peut s’appliquer à toute forme de dépendance, comme le tabac, la drogue, la nourriture (boulimie, anorexie), le jeu, le sexe.
Des renseignements sont disponibles sur le site des AA de Suisse romande et italienne www.aasri.ch. Une permanence d’écoute reste ouverte au 0848 848 846.