« Je m'appelle ... et je suis malade alcoolique »
in "L'Yonne Républicaine" (France), 18 août 2017
« La parole, ça libère », à Auxerre, Sens, Avallon et Migennes, des (anciens) buveurs se réunissent.
Même après des années d’abstinence, des femmes et des hommes se réunissent chaque semaine à Migennes pour éviter la rechute, aider des buveurs. Immersion.
À Migennes, chacun se dit « malade alcoolique » même s’il/elle ne boit plus depuis des années. La phrase rituelle, amorce de chaque réunion des Alcooliques Anonymes (A.A), a d’ailleurs changé. Le mot « malade » est venu s’ajouter. - Je m’appelle Victor*…et je suis malade alcoolique. - Je m’appelle Sandra… et je suis malade alcoolique… Ils sont neuf - le nombre varie chaque semaine - assis autour de la table ce mardi 8 août, au 2, rue des écoles. Deux femmes et sept hommes, à visage découvert, dans l’anonymat, se racontent, tour à tour, leur semaine. Pour l’instant « tout va bien ». Jusqu’au tour de Pierre.
Il faut accepter la maladie […] reconnaître qu’on restera alcoolique jusqu’à la fin de sa vie.
« J’ai… rechuté… dans l’alcool… » La voix de Pierre est chargée de honte. Entre chaque mot, il avale sa salive. L’ancien polytoxicomane dit avoir enchaîné « les grandes pintes de bière, tous les jours » depuis la disparition de son frère, « mort d’un arrêt cardiaque dû à l’alcool ». « J’ai pris un verre, j’ai voulu contrôler […] je cachais tout à mes amis, ma famille […] une fois, c’est déjà trop » conclut-il. Et de préciser qu’il en est à son 63e jour « sans aucun produit ».
Confessions intimes
Dès que Pierre termine son récit, les huit autres viennent à sa rescousse. « Tu vas y arriver […] mais faut s’accrocher », rassure Gaspard qui mène la réunion. « Il faut accepter la maladie […] reconnaître qu’on restera alcoolique jusqu’à la fin de sa vie. » Robert lui raconte sa première fois aux A.A. « Je me sentais sale, honteux […] et maintenant je suis heureux » après 32 ans sans spiritueux. Il s’amuse même d’avoir résisté « aux grands crus qu’]il] n’avait jamais vu », à l’anniversaire de son fils. Philippe, lui, confie que « même après douze ans […] [il] reste très méfiant ». À les écouter, l’alcoolisme a tout d’une maladie chronique, pourtant pas décrite comme telle dans le Code de santé publique. « Un sujet tabou », insistait une députée en 1998. La réunion se termine par la récitation collective de la Prière de la Sérénité - les A.A. sont laïques et selon ses membres. « Mon Dieu, donne moi le courage de changer les choses que je peux changer. » Avant de partir, Robert lâche à ses camarades : « Mon Dieu, c’est vous?! »
(*) Tous les prénoms ont été modifiés.