A Saint-Tropez, l’entraide face à l’alcoolisme franchit le mur de la langue
in "Var-Matin" (France), 25 Janvier 2025
A Saint-Tropez, à l’heure du Dry January, les Alcooliques Anonymes tiennent aussi un rendez-vous en anglais pour offrir un espace d’écoute aux vacanciers et résidents étrangers.
"Hi my name is Paul (1) and i’m still an alcoholic (Salut, je m’appelle Paul et je suis toujours alcoolique)", insuffle le premier pour lancer les échanges. Un témoignage en Anglais teinté d’un accent français acéré suivi dans un autre discours aux tonalités rondes et étouffés de l’Écossais.
Ce n’est pas en Grande-Bretagne mais bien dans le petit Saint-Tropez que ces échanges anglophones ont lieu à la nuit tombée. Chaque lundi soir le triangle bleu orné des deux lettres "A. A.", s’illumine sur le portail de la bibliothèque municipale jeunesse, rue Gambetta, à Saint-Tropez. Une faible lueur, discrète mais douce et rassurante. C’est ici que se réunissent les Alcooliques Anonymes anglophones. Qu’ils soient présents à l’année, de passages quelques jours ou quelques mois dans le village, ils savent qu’ils peuvent trouver ici un espace d’écoute sans craindre de ne pas être compris à cause de la barrière de la langue.
Reconnaître sa condition
"Sans vous, sans cette réunion je serais probablement dans un bar. Et si je n’avais pas arrêté l’alcool il y a 100% de chance que je sois mort ", déballe Will, originaire d’Edimbourg. Il rythme son témoignage poignant en frappant la table avec le livret de réflexions quotidiennes dont il a lu le texte du jour quelques minutes plus tôt. "Je demande humblement à ma Puissance supérieure de laisser passer une brise rafraîchissante quand je m’apprête à réagir trop vivement, de remplacer ma virulence par une douceur paisible", a-t-il récité.
Car dans le chemin vers l’abstinence, la spiritualité - et non la religion - prend une place importante. "Je n’accrochais pas, je voyais ça sur internet mais j’avais l’impression que c’était une secte. Mais regardez aujourd’hui, je me sens bien, je ne bois plus. Avant lorsque le ton montait avec une personne j’allais chercher la batte, maintenant je laisse couler. Je ne pensais pas que ça pouvait fonctionner comme ça", reconnaît Thierry, un Français venu ce soir ne pouvant pas assister à la prochaine réunion.
Même scepticisme du côté de Will lorsqu’il a poussé les portes la première fois: "When I leaved, I said: “f...ck this place. In every page there is the word God?" I said no. (Lorsque je suis sorti, j’ai dit: "j’emm... cet endroit. À chaque page il y a le mot Dieu?" J’ai répondu non). »
Tout le monde a un passif, un traumatisme, ou un vide à combler qui a poussé à boire sans contrôle. Lorsqu’il était jeune, Will a perdu, en peu de temps, toute sa famille: "Mon frère, puis mon père, puis ma sœur et enfin ma mère. Lorsque ma mère est morte, je suis devenu addict. "
Les autres membres de la réunion posent les yeux sur lui ou plongent leur regard vers leur pied et profondément dans leur pensée, mais tous écoutent attentivement. Aujourd’hui, grâce à cet espace d’échange et de compréhension, Will a atteint 12 ans de sobriété: " Mais personne dans cette salle ne peut promettre qu’il ne boira plus. Ça serait un mensonge. Je me souviens que je suis alcoolique et je dois travailler dessus tous les jours. "
Cuite sèche
Le groupe de parole tient un livre d’or depuis sa création en 1980. L’association ne veut pas "lutter contre la consommation d’alcool" mais propose un chemin de progression personnelle et un espace de solidarité aux adhérents. "Les sensations, la souffrance, il y a des choses que seul un alcoolique peut comprendre. Un lendemain d’une soirée où beaucoup d’alcool avait circulé, j’avais comme une gueule de bois sans n’avoir rien bu. Ça s’appelle “une cuite sèche" je l’ai appris ici! », confie Thierry.
À la fin de la séance, chacun se remercie avec un sincère sourire, se prend dans les bras chaleureusement. Chacun ressort en se souvenant de sa condition mais en ayant acquis un peu de force jusqu’à la prochaine séance pour atteindre l’abstinence, 24h par 24h.
1. Les prénoms ont été changés pour préserver l’anonymat.
Réunion anglophone le lundi à 20h. Francophone le mercredi à 18h30 et à partir d’avril à 20h. 69 rue Gambetta, Saint-Tropez.
À Sainte-Maxime: - tous les vendredis à 20h à la Maison des associations. -
une réunion pour les al-anon (proches d’alcooliques) tous les 2e et 4e vendredis du mois à 20h à la Maison des associations.