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Vision(s) d’en bas

Publié le par kreizker

Jérôme Bosch, La Nef des fous (détail), 1494-1510, huile sur chêne, Musée du Louvre

Jérôme Bosch, La Nef des fous (détail), 1494-1510, huile sur chêne, Musée du Louvre

5h02. Premier litre.
Pas de lumière.
Juste la bile, le cogneur dans la cage, les doigts arthritiques de tremble.

La bière pisse dans mon gosier — pâteuse, amère, couleur fioul.
Je m’auto-remplis.
Je ne bois pas.
Je m’anesthésie.
Je me rétracte. Centimètre par centimètre.

À mes pieds, le seau.
Fidèle.
Docile.
Je vomis sans y penser.
Il accueille.
Il recueille.
Rien ne m’écœure plus.
Même pas l’haleine de cave.
Ni les peaux mortes, les cloques jaunes, le cul qui saigne.

Je suis devenue une ruine.
Pas une tragédie grecque.
Une ruine industrielle.
Un site pollué que personne ne nettoiera.

Ça brûle.
Ça suinte.
Ça crie — en silence.

L’enfer ?
Non.
Moi.

Et là, ils arrivent.
Sans prévenir.
Les tableaux.
Bosch, surtout.
Il me saute dessus comme un clébard affamé.
Me mange les yeux.
Me broie le cerveau.

Je vois un entonnoir dans mon ventre,
Un cul transpercé,
Des jambes qui bouillent.
Les miennes.

Je ferme les yeux.
Erreur.
Dedans, c’est pire.

Je suis la toile.
La salope peinte en feu.
Une torche humaine.
Une offrande.
Une erreur anatomique.

Parfois, je glisse hors du tableau.
Mais je tombe.
Ni dans le sommeil.
Ni dans l’oubli.
Dans un tunnel noir, en boue vivante.

Une descente.
Une noyade sans eau.
Jules Verne sur acide.
Crack & chute libre.

Je fonce, corps nu, vers un noyau de lave.
Ça lèche.
Ça crame.
Et ça ricane dans mes oreilles internes.

Y’a plus de haut.
Plus d’air.
Plus de sortie.

C’est ça, l’Enfer.
Pas les flammes.
Pas les diables.
La solitude.
Le mutisme.
Et cette honte, collée aux tripes :
avoir pitié de soi.

Je ne les ai pas choisis, ces images.
Elles m’ont choisie.
Elles ont forcé l’entrée, comme un viol sans corps.
Elles ont parlé la langue de mon effondrement.

Moi, j’avais plus de mots.
Plus de nerfs.
Plus de filtre.

L’art ?
Pas un refuge.
Un miroir noir.
Un dieu moqueur.
Une vérité qui pue le vomi et les heures sans nom.

8h27.
Le jour veut entrer.
Je lui crache au carreau.

Ma peau tire.
Ça suppure.
Ma langue a des gencives de pierre.
L’alcool n’a pas effacé.
Il a creusé.

J’essaie d’ouvrir la fenêtre.
Pas pour l’air.
Pour que ça sorte.
La bête.
La voix.
Le cri muet.

Je reste là.
Figée.
Le regard dans le vide, mais le vide plein.

Bosch refait surface.
Encore.
Toujours.
Ce n’est plus une hallucination.
C’est une intrusion.
Un forçage.

Il me colle aux nerfs.
Il repeint mes synapses.
Ses diablotins me démembrent de l’intérieur.

Mon corps est devenu le tableau.
Pas le cadre.
Pas le sujet.
Le lieu.

Je me regarde chier.
Boire.
Saigner entre les jambes.
Bête pendue.

Il n’y a plus de regard tiers.
Je suis mon propre voyeur,
ma propre exécution.

La psy appellerait ça comment ?
« Retour du refoulé » ?

Non.
Accouchement d’une merde sacrée.
Une bouillie de honte, d’effondrement, de réminiscence.
Une chair sans image.
Alors elle convoque les pires.
Celles qu’on croyait figées dans les musées.
Celles qu’on croyait mortes.

Je n’ai jamais choisi Bosch.
C’est lui qui m’a prise.
Comme un dieu.
Un père.
Une main dans la nuit.

Je n’avais plus de mots.
Juste ce langage-là.
Iconographique.
Brutal.
Incestueux.

Je suis entrée dans l’enfer par les yeux.
J’en suis sortie par le cul.
Et je suis restée coincée entre les deux.

7h14.
Le seau est plein.
Moi aussi.

Je me relève.
Ou je crois.
Ou je rêve.

J’ai arrêté de boire.
Enfin, j’ai essayé.
Mais Bosch est resté.

Il vit en moi.
Il frotte son pinceau dans mes souvenirs.
Il me regarde.
Encore.
Toujours.
Depuis l’arrière de mes paupières.

Je suis sobre.
Mais l’enfer est accroché dans ma nuque,
comme un tableau qu’on ne décroche pas.

Texte d'Agnès

Intitulé Vision(s) d’en bas, il explore un univers très viscéral et intérieur, avec un langage cru et imagé, et une forte référence à Bosch.

Publié dans témoignages

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"Congrès annuel des Alcooliques Anonymes à Saguenay"

Publié le par kreizker

"Congrès annuel des Alcooliques Anonymes à Saguenay"

 

Radio-Canada, 30 Août 2025

Le congrès annuel a lieu à l’école secondaire Charles-Gravel, à Chicoutimi.

Le congrès annuel a lieu à l’école secondaire Charles-Gravel, à Chicoutimi.

Le regroupement des Alcooliques Anonymes (AA) de Saguenay tient cette fin de semaine son congrès annuel à l'école secondaire Charles-Gravel de Chicoutimi. L'objectif de cet événement, qui attire des centaines de personnes chaque année, est de faire connaître le mouvement à l'ensemble de la population.

Avec ce genre de rassemblement, les membres des AA espèrent contribuer à réduire les préjugés. Le président du congrès, Éric, explique qu’il s’agit d’une maladie qui reste encore tabou.

"Aujourd'hui, la maladie de l'alcoolisme, c'est beaucoup plus médiatisée qu'avant. Avant, on dirait que c'était plus caché. [...] Mais pour moi, on dirait que ce n’est pas encore assez."

Le congrès se terminera samedi soir avec une pièce de théâtre.

Le congrès se terminera samedi soir avec une pièce de théâtre.

Le congrès des Alcooliques Anonymes est ouvert au public. Il s’agit aussi d’une occasion pour les membres du Saguenay-Lac-Saint-Jean de se rencontrer.

Tous les jours, plusieurs rencontres des AA ont lieu aux quatre coins de la région afin que tous puissent cheminer.

 

"La maladie, elle n'a pas de médicament. Notre médicament à nous, ce sont les réunions."

Une citation deÉric, président du congrès des Alcooliques Anonymes de Saguenay

 

Éric a lui-même emprunté le chemin de la guérison grâce à ces rencontres. Il est maintenant sobre depuis 9 ans.

Éric est sobre depuis maintenant 9 ans.

Éric est sobre depuis maintenant 9 ans.

"Moi, j'ai adhéré au mode de vie lorsque je suis allé en thérapie. J'ai eu besoin d'une thérapie. J'étais vraiment rendu dans le bas fond. Je n'étais plus capable d'en prendre et je n'étais plus capable d'arrêter. Rendu là, il a fallu que je demande de l'aide. Il a fallu que je plie les genoux."

"Moi, je vais te le dire, ça a sauvé ma vie."

Éric, président du congrès des Alcooliques Anonymes de Saguenay 

 

Soutien pour les proches

Le regroupement Al-Anon participe également au congrès. Cette fraternité vise à aider les gens qui vivent avec des personnes alcooliques.

"C'est vraiment pertinent. C'est comme de voir l'autre côté de la médaille, a mentionné un membre de Al-Anon. [...] Quand on vit avec une personne qui consomme, on veut l'aider, mais on ne sait pas comment faire. On essaie toutes sortes de recettes, mais elles ne marchent pas. Donc quand on arrive à Al-Anon, on apprend à s'occuper de soi."

Le congrès se terminera d'ailleurs avec une pièce de théâtre ce soir qui vise à faire comprendre l'alcoolisme et les répercussions qu'il peut avoir sur l'entourage.

Publié dans AA Québec

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Prédateurs en AA

Publié le par kreizker

in "BIG 483 - Septembre 2025" (Bulletin Intergroupe Paris Banlieue)

Témoignage


J’ai été victime par 2 fois d’hommes qu’on appelle des « prédateurs » dans les groupes ; je trouve le
terme tout à fait exact, car j’étais une proie, une proie facile.
C’était en 2009. Je venais d’arriver en AA, l’envie de boire m’avait été ôtée à ma première réunion, j’avais
confiance dans les amis et le mouvement.
J’ai été rapidement repérée par un ancien, qui a su m’embobiner et profiter de moi, sexuellement et
financièrement.
Bien que plutôt moche, il était très psychologue et sécurisant. « Emprise psychologique », ça s’appelle.
Par chance, nous allions souvent en réunion, avec une petite bande d’amis hommes (des filleuls ?) sur
lesquels il régnait. J’ai pu avancer dans le programme, je n’ai jamais eu envie de boire.
Un détail aurait dû me mettre la puce à l’oreille, mais j’étais vraiment naïve et fragile en ce début
d’abstinence : je ne suis jamais allée chez lui, il venait chez moi.
Cette relation a duré plus d’un an, je l’ai même emmené dans ma famille (en lui payant le train). Un ami
m’a dit plus tard que, m’ayant vue avec lui, il avait pensé me mettre en garde. Je suis certaine que je ne
l’aurais pas écouté…
J’y ai mis fin quand j'ai appris qu’il avait mis le grappin sur une autre amie.
Heureusement celle-ci était moins inhibée que moi, et l’a incendié en pleine réunion…


Quelque temps après j’ai été séduite par un autre homme du même genre, dont je n’ai jamais connu le
domicile non plus !
Lui aussi était connu comme prédateur, mais je ne voulais pas voir (il avait d’ailleurs un surnom
évocateur que j’ai appris plus tard).
Je l’ai emmené en vacances dans ma famille (celle-ci n’a jamais fait de commentaires sur mes « petits
amis » mais plus tard ils m’ont dit qu’ils étaient vraiment bizarres…)
Ce dernier était clairement un menteur, il m’a transmis des MST, il n’était pas fiable, et j’ai appris un jour
qu’il prenait des médicaments psychotropes.
Tout cela ne m’a pas empêchée de le fréquenter presque 2 ans. Je suis certaine que ma marraine et mes
amies privilégiées m’ont alertée, mais je n’ai pas voulu faire attention.
Je voudrais vous dire que je suis vraiment contente et soulagée que des mises en garde soient
régulièrement rappelées, en particulier aux nouveaux et nouvelles. À mon avis, les amis qui savent que
l’un de ces ceux-ci est tombé sous la coupe d’un ou d’une de ces individus devraient s’autoriser à le-la
prévenir et également prévenir le comité du groupe.
Catherine

Publié dans AA france

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« Tu te suicides à chaque verre »

Publié le par kreizker

in "Alcool : les étudiants face à une institution"

Quentin Cizeron, étudiant en journalisme a réalisé, dans le cadre de ses études, une enquête sur l'alcool dans le milieu étudiant. A cette occasion, Quentin a participé à une réunion Alcooliques anonymes à Cholet.

Des soirées étudiantes festives à l’obscurité de la maladie, l’alcool n’occupe pas la même place dans les différents parcours de vie. Pour eux, membres des Alcooliques Anonymes et anciens étudiants, les premières ivresses ont eu beaucoup plus de conséquences qu’imaginé, à l’heure du premier verre. Ils racontent et explorent, en profondeur, leur passé noyé.

Le panneau AA, discrètement accroché à un tuyau de descente du bâtiment le temps des réunions.

Le panneau AA, discrètement accroché à un tuyau de descente du bâtiment le temps des réunions.

Les enfants rient autour d’un toboggan, au centre d’un espace vert reculé de Cholet. Les passants profitent, en solitaire ou en famille, d’un samedi matin ensoleillé de la fin du mois de juillet, après une semaine grise dans les Mauges. Un peu plus loin, à l’écart, un petit bâtiment ayant passé sa première jeunesse accueille au compte-goutte une demi-douzaine de personnes. Une petite pancarte marquée des lettres AA se balance contre le tuyau auquel elle est suspendue. Bien loin de l’agitation du centre-ville en ce jour de marché, les Alcooliques anonymes se réunissent pour la réunion répondant au nom de « Sérénité ».

 

 

«  Je voulais appartenir à un groupe »

 

Dans une petite salle aux murs blancs, neutres, parfois habillés de quelques affiches de l’organisation née en 1935 aux États-Unis, une table occupe le centre de la pièce. Autour d’elle, douze chaises. Pendant que les différents membres s’installent en discutant, David sert le café et dispose des bonbons sur la table : « Il n’y a plus d’alcool, mais qu’est-ce qu’on mange du sucre », sourit-il. Aujourd’hui, ils seront six à revenir sur leur semaine, leur vie. Leurs angoisses, leurs doutes, leurs réussites aussi. Le thème du jour : « Le regard des autres », annonce Jacques, le modérateur de la séance. Pendant plus d’une heure, chacun prend la parole et fait le point.

 

Certains espèrent devenir abstinent, d’autres le sont déjà. David n’a pas bu une goutte depuis presque 2 ans : « C’est un bon thème, parce que je me dis que ça part de là. À l’âge d’être étudiant, je me rappelle que le fait de consommer de l’alcool me permettait d’affronter le regard des autres. Je n’étais pas très bien dans ma peau. Je voulais appartenir à un groupe, boire avec tout le monde et faire tomber mes complexes. » D’après les derniers sondages effectués au sein de l’association, en 2020, moins de 2 % des membres ont moins de 30 ans. « On est à un âge où l’on ne se pose pas la question de savoir si on est alcoolique, où l’on n’a peut-être pas la maturité, et pourtant… »

 

Les Alcooliques anonymes conservent de nombreuses publications et témoignages au sujet de l’alcool. Crédits : Quentin Cizeron.

Les discours émus tranchent avec les sourires barrant le visage des membres, qui semblent libérés d’un poids. Patrice est un peu plus sur la retenue. Présent pour la première fois en réunion, il raconte comment l’addiction s’est insidieusement installée. Les réunions avec des acteurs du BTP qui se concluent toujours par un verre, plusieurs fois par jour, après plusieurs années à l’armée qui ont déjà fait leur œuvre. Le changement de travail, et le manque qui grandit en lui. Les premiers verres, premières bouteilles, seul. Un entourage qui ne le comprend pas, lui intimant qu’il suffit de ne plus boire pour mettre fin au calvaire. « Je suis suivi médicalement, je veux vraiment que ça s’arrête », grimace-t-il.

 

 

La maladie des émotions

 

Philippe aussi est passé par là. En terrasse, il boit son café, tirant parfois sur sa cigarette, tout juste entamée : « La porte est très lourde quand tu la pousses pour assister à ta première réunion. Tu ne sais pas sur quoi tu vas tomber. » Comme les autres, c’est après plusieurs années de lutte qu’il s’est résolu à franchir le pas. L’histoire avait commencé il y a plus de deux décennies, lors de ses études : « Mes premières cuites sont pendant mon CAP, avec les copains. Puis avec le patron, à chaque fin de semaine. J’aimais l’effet que ça me faisait », se souvient-il, en saluant de temps en temps de loin des connaissances, passant dans le coin. Le cadre est alors festif, les verres sont légers. Mais le décor s’assombrit assez vite : « Après, c’était à chaque problème personnel. » Un cycle infernal, pernicieux, qui durera de longues années : « Je ne savais pas comment gérer mes émotions. Et plutôt que de les affronter, je les noyais. Mais ça n’efface rien, ça repousse juste. » L’engrenage est lancé. Irrémédiable, inarrêtable : « J’en étais arrivé à un point où, pour arrêter mes tremblements, je remplaçais mon café au réveil par de la vodka. Plus tard, un médecin m’a expliqué que l’alcool n’avait même pas le temps de faire effet. En réalité, j’avais juste besoin de cette sensation de brûlure dans la gorge. »

 

Ce sont les allers-retours à l’hôpital qui le forcent à poser le verre : « Et ce sont les Alcooliques anonymes qui m’empêchent de le retrouver. » Lui aussi, comme tant d’autres, a connu la rechute, pensant pouvoir boire sans rechuter. « Mais un verre, c’est trop. Et mille, ce n’est pas assez. » Désormais membre actif des Alcooliques Anonymes, il est aussi abstinent depuis plusieurs années : « L’alcool est mon ennemi, mais ne sera plus jamais mon adversaire, parce qu’on arrête d’affronter ce qu’on ne peut pas battre. Quand quelqu’un partage son parcours de vie aux AA, j’ai l’impression que la personne raconte des bouts du mien. Ça me conforte dans le fait que je suis à ma place. »

                                    « Un verre, c’est trop.
                                 Mille, ce n’est pas assez. »

 

Il s’allume une deuxième cigarette : « Tu perds tout à cause de cette maladie, et si tu n’as pas assez perdu, tu vas creuser pour perdre un peu plus. Tu ne prends pas de l’alcool pour être bien mais pour ne pas être mal. Donc j’ai passé des années à me faire du mal pour éviter de me faire souffrir. Mais en réalité, tu te suicides à chaque verre. »

 

Addictologue basé à Saint-Genis-Laval, près de Lyon, Yann Botrel partage l’importance de l’équilibre émotif présenté par Philippe : « L’addiction, à l’alcool comme à d’autres produits, est une façon de contourner l’obstacle. Elle s’installe quand on passe d’une consommation d’envie à une consommation de besoin. C’est une maladie chronique. » Mais comment définir une addiction plus précisément ? Le DSM-5 (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 5e édition), publié par l’Association américaine de psychiatrie en 2013 et repris par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA), liste onze critères.

 

« C’est une maladie neurologique. Elle va détourner des circuits hormonaux, notamment le circuit de la dopamine, qui est l’hormone du plaisir et de la récompense. Maintenant, on sait aussi qu’il y a des terrains génétiques ou des contextes dans lesquels évoluent les individus qui peuvent influer », poursuit Yann Botrel.

 

Au sujet des étudiants, Nicolas Palierne, spécialiste des usages sociaux de l’alcool, ajoute : « La manière d’aborder l’alcool est différente, on a davantage de dimensions positives ou sociales. » Une autre façon de justifier sa consommation, ce qui n’écarte toutefois pas le caractère dangereux des excès : « On va davantage parler de troubles d’usage, plutôt que d’alcoolisme. Quand on parle d’addiction, ce n’est plus tellement une question de fréquence. Et c’est là l’intérêt du DSM-5, qui se définit plutôt sur un rapport relationnel au produit. » Malgré tout, aborder la question de l’addiction chez les étudiants demeure difficile, là où les consommations abusives peuvent davantage être glorifiées que questionnées : « Vous allez plutôt avoir l’étiquette de gros fêtard que d’alcoolique quand vous êtes étudiant, signale le sociologue. La difficulté est justement de percevoir le mésusage avec des effets de myopie, parce que vous serez principalement entouré de personnes qui consomment comme vous. Ça ne permet pas d’identifier facilement la déviance. »

 

Et si les dangers liés à la consommation d’alcool, comme le développement d’une cirrhose ou d’un cancer, restent principalement liés à une dimension à long-terme, d’autres risques plus immédiats ou situationnels peuvent apparaître : accidents, passage à l’acte suicidaire, ou coma éthylique. Pas question néanmoins de mélanger consommation active dans un temps donné et alcoolisme, aux yeux de Nicolas Palierne : « Une majeure partie des troubles vont s’estomper avec l’avancée en âge, et donc l’entrée dans la vie active et l’apparition de responsabilités professionnelles ou familiales. Les obligations sociales vont devenir trop contraignantes pour soutenir un tel rythme de consommation. C’est réellement le statut d’étudiant qui favorise cette consommation. » Certains s’en détacheront, d’autres auront plus de mal : « Il ne s’agit pas de dramatiser cette consommation. Mais une partie des étudiants vont développer des troubles d’usage issus aussi de cette période. »

 

Des soirées étudiantes aux abysses

 

Christophe appartient à la seconde catégorie de personnes. Membre des Alcooliques Anonymes, il est malade alcoolique abstinent depuis quatre ans. Souriant, il semble apaisé derrière la caméra de son ordinateur, alors même qu’il s’apprête à livrer le témoignage de longues années difficiles. « Mon histoire avec l’alcool commence très tôt dans ma vie, tout de suite en réalité. » Son père était alcoolique. « On dit souvent que dans une famille, quand il y en a un qui boit, c’est tout le reste qui trinque. Ça a été le cas. » L’enfance est compliquée. La relation avec son père aussi, jusqu’au soulagement, à 18 ans, lorsque ses parents se séparent. Mais déjà, un rapport spécial est instauré entre la boisson et l’adolescent qu’est Christophe : « Je pense avoir pris ma première cuite à 15 ans. J’ai découvert le côté un peu sympa de l’alcool, un peu euphorique. »

                            « J’ai perdu à la roulette russe. »

 

Malgré tout, il maintient une certaine froideur à l’encontre du verre, marqué par le souvenir de son père : « S’il y a bien une chose que je ne voulais pas, c’était finir comme lui. » Il boit de temps en temps, en soirée. Sans excès. Il est le SAM attitré du groupe, celui qui conduit et qui ne boit pas. Il ne pénètre pas non plus dans le bar de sa commune, où son père est un habitué. Arrive alors une première rencontre, qui coïncide avec son entrée en études : « La famille de ma première compagne buvait énormément. Et les prises d’alcool commençaient à être vraiment fortes les jeudis soir pendant mon BTS, pour compenser un mal-être, un manque de confiance en moi. Je pense que j’ai commencé à m’engouffrer là-dedans à ce moment-là, sans m’en rendre compte. »

 

Un premier drame vient secouer le fragile équilibre que le jeune homme tente de se construire, entre son début de vie professionnelle et la naissance persistante de l’addiction : « Mon père décède quand j’ai 25 ans. Je crois que j’étais déjà dans l’alcool à ce moment-là, et ça n’a rien arrangé. » Un malheur n’arrive jamais seul. Quelques mois après, la séparation avec sa première relation est difficile. Il part vivre dans un petit appartement, et boit en soirée, accompagné d’un ou plusieurs amis, pour s’occuper, faire passer le temps : « C’était quasi tous les jours. Il y en avait toujours un disponible. Le point de départ, c’est que j’ai fait comme tout le monde, pour faire la fête. Mais j’ai perdu à la roulette russe, c’est moi qui ai vrillé. » Pourtant, Christophe est loin d’être au bout de ses peines.

 

L’âge avançant, sa pratique évolue. Il ne voit plus le soleil le week-end, trop grisé par l’alcool. Le travail « le tient à peu près », en dépit d’une consommation quotidienne. Une nouvelle bascule se fait lorsqu’il entre dans une nouvelle relation, qui débouchera sur la naissance de son fils, en 2014. Christophe a 35 ans. La transition est difficile : « Je m’étais calmé, et étrangement j’ai recommencé à remettre le nez dedans à ce moment-là. Je me planquais pour boire, j’attendais qu’il s’endorme. Là, j’allais boire à nouveau, puis j’allais me coucher. » Le schéma se répète inlassablement, jusqu’en 2018. Christophe surprend une infidélité de la mère de son enfant, avec un ami et collègue de bureau. « On entre alors dans une autre dimension », prévient-il.

 

 

« Ma période de destruction massive »

 

Après quelques mois de transition chez sa mère, Christophe retrouve un domicile à la fin d’année. Il parvient à rester sobre quand son fils est présent, du moins lorsqu’il ne dort pas. Mais le barrage finit par céder : « On entre dans ma période de destruction massive. C’était non-stop. » Méthodique, il entre dans tous les détails d’un engrenage qu’il connait par cœur. Quatre litres de bière par soir, de la Kwak ou de la 3 Monts, à 8 ou 9 %. « Le week-end, je m’autorisais le Ricard. Je mettais un scotch sur la sonnette, et le vendredi à 21 h, je dormais dans le canapé. C’était comme ça jusqu’au dimanche, tard dans la nuit. »

 

 

Parallèlement, au travail, Christophe grimpe les échelons : « J’ai fait ma carrière dans l’alcool. Je suis passé de technicien en bureau d’études à cadre. Je pouvais tout encaisser. Peu importe, le soir, je rentrais et je me défonçais. » Un bien, qui le plongeait encore un peu plus dans sa consommation : « J’ai eu la malchance d’avoir le compte plein à craquer à ce moment-là. Je pouvais dépenser 1 000 € par mois dans les cigarettes et l’alcool. »

 

Tout ça pendant plusieurs mois, deux années presque complètes, les confinements n’aidant en rien : « J’étais dans un cauchemar. C’était une vraie souffrance de prendre ce verre. J’étais vraiment devenu un monstre rempli de haine et de tristesse. Je pense que, dans le fond, c’était aussi une façon de me détruire, parce que je n’avais pas le courage de me suicider. C’est quand j’ai pris conscience de mon problème que je n’ai jamais autant bu. »

« C’était aussi une façon de me détruire, parce que je n’avais pas le courage de me suicider. »

D’autant que Christophe se cache. Boit seul pour que l’on ne le voie pas dans cet état. Et parvient à ne pas consommer lorsqu’il est en soirée, avant de reprendre le verre en rentrant. Il tente une première fois d’arrêter de boire, fin 2020. Tient bon trois semaines. Puis s’autorise un verre le soir de Noël. « Le 26, je suis dans une ambulance après une tentative de suicide. » De retour sur pied, il arrête une nouvelle fois pendant deux mois. Avant de replonger. Jusqu’au déclic

.

Renaissance

 

« Il est brutal », se souvient Christophe. Il est surtout public. Lundi 31 mai 2021. Il est secrétaire du comité d’entreprise. « Je n’avais pas arrêté de la nuit. On était encore plus ou moins confinés, et j’étais le seul en visioconférence d’une réunion. Il y avait tout le monde : le DRH, les membres du CSE… Et je me suis ridiculisé. » Pas lavé, pas coiffé, il apparait à la caméra dans un état second. Il fume, joue avec un casque Ironman reçu pendant la réunion même.

 

Christophe a alors 42 ans. Il n’a plus jamais bu depuis ce jour. « J’ai foncé chez mon médecin dans la foulée, j’ai fait une demande de cure de sevrage. Je lui ai dit que je n’en pouvais plus, que je ne maitrisais plus rien. » Coup de chance, il entre en centre d’addictologie dix jours plus tard, pour quinze jours. Une vraie prise de conscience : « Je me suis rendu compte que ça touchait tout le monde, du SDF au PDG. Ça a été une étape pour ne pas rechuter. » À sa sortie, il s’implique dans les Alcooliques Anonymes. Et redonne du sens à son existence : « Je n’avais aucune idée d’à quoi pourrait ressembler ma vie sans alcool. Elle n’a jamais été aussi belle. J’ai pris du service aux AA, et je ne rate pas une réunion. Si je peux aider une personne avec mon histoire, ce sera déjà bien. 4 ans d’abstinence, ce n’est pas grand-chose, le chemin est encore long. »

 

La victoire de Christophe est aussi totale d’un point de vue individuel : « Je me suis beaucoup remis en question. J’ai pu prendre du recul sur mon enfance, vis-à-vis de mon père et faire la paix avec ça et avec mon passé. J’ai le sentiment d’être un bon papa, et d’être un bon compagnon pour moi-même. » Pensif, il marque une pause, le regard perdu au-dessus de sa caméra : « Il y a une phrase qui dit que l’on ne peut pas être heureux tant que l’on ne se le permet pas soi-même. J’ai enfin décidé de l’être.

Publié dans AA france

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